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Actualités  |  Mardi 11 mai 2021

Sauvegardons nos biotopes politiques!

L’homme est un animal. Il est certes doué de raison, de conscience et de liberté, mais il est aussi un être organique. Il naît, croît et meurt, il boit et mange, il se reproduit. Comme l’animal, qui vit en horde, en harde, en essaim, en nuée, en banc, l’homme vit en groupe. Et ce groupe a lui aussi un besoin vital d'être intégré à un biotope spécifique.

Un biotope, c’est, littéralement, un «lieu de vie», un milieu naturel caractérisé par une géologie, un climat, une flore et une faune qui coexistent d'une façon équilibrée et interdépendante. En ce qui concerne l’animal humain, son biotope est particulièrement complexe, car il s'inscrit en outre dans une histoire, une culture et un cadre institutionnel. Les règles qui formalisent son rapport au monde et à ses semblables ne relèvent pas uniquement des nécessités biologiques. Elles se présentent sous la forme de mœurs, qui sont à la fois particulières dans leur expression et universelles dans leur fond. Le politicien doit tenir compte de ces deux aspects et veiller à ne jamais évacuer le particulier au nom de l’universel. De la sorte, il cimentera la communauté humaine d'une façon plus complète et plus efficace qu'avec les seules «valeurs» abstraites du droit ou de l'idéologie.

Tout biotope protège son harmonie interne. Sans être forcément clos sur lui-même, il traite l’intrus – graine apportée par un oiseau, insecte égaré, prédateur chassé par l’évolution climatique –, en fonction première de la sauvegarde de son propre équilibre. S’il peut assimiler l’intrus, il le fait, à sa manière. S’il le ressent comme dangereux, il met tout en œuvre pour le rejeter.

On appartient à son biotope. La fourmi est un élément constitutif de sa fourmilière, même si elle jouit de ce qu'il faut d'autonomie individuelle pour y accomplir pleinement sa tâche formique. De même, l’être humain, si libre soit-il, reste relié de mille manières à son biotope politique et social. C'est son indispensable base opérationnelle.

Les biotopes politiques, en Suisse, sont cantonaux. Le biotope vaudois – identifiable entre tous – n’est pas le biotope genevois, ni le zuricois. Comme chaque canton, Vaud vit sa réalité communautaire originale, laquelle constitue une minuscule, mais réelle et irremplaçable contribution à l'humanité.

L’effet le plus certain d'une centralisation fédérale, si fondée qu'elle semble sur le plan administratif, est de léser les biotopes cantonaux sans améliorer le biotope suisse. Dans un autre ordre d’idée, le vote passionné qui a décidé en faveur du transfert de la ville de Moutier au canton du Jura a été ressenti, par le peuple jurassien, comme une réappropriation vitale d’une partie de son biotope historique. Le combat politique et institutionnel pour les souverainetés cantonales prend ainsi une portée écologique.

(Olivier Delacrétaz, 24 heures, 11 mai 2021)