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Une Eglise multitudiniste

Olivier Klunge
La Nation n° 1906 14 janvier 2011
«L’Eglise évangélique réformée vaudoise est un service de l’Etat, auquel chacun peut faire appel selon ses besoins.» Certains changements de société, aussi dramatiques soient-ils, mettent du temps à être perçus par le plus grand nombre. La place et la considération de l’Eglise réformée vaudoise dans notre société ont subi une évolution extrêmement importante ces dernières décennies, y compris au niveau législatif. Pourtant, tant les fidèles que les autorités ecclésiales peinent à prendre conscience de ce changement et de ses conséquences.

Encore aujourd’hui, les protestants vaudois se comportent comme si être réformé était une évidence pour un Vaudois, ou du moins un choix par défaut. On envoie ses enfants au catéchisme comme tout le monde. Il faut pourtant admettre que les protestants déclarés forment moins de la moitié de la population cantonale, et que seule une minorité de ces fidèles déclarés envoie ses enfants au catéchisme ou participe, même irrégulièrement, à la vie des paroisses. A Lausanne, les protestants ne représentent pas plus du quart de la population; certainement moins de dix pour cent des élèves suivent le catéchisme réformé. Même au sein de la faculté de théologie de Lausanne, devenue faculté de théologie et des sciences des religions, la foi chrétienne n’est plus partagée par une majorité des professeurs et étudiants.

Les autorités ecclésiales continuent pourtant d’attendre la plupart de leurs revenus de l’Etat et des communes. L’Eglise réformée (comme le Vicariat épiscopal catholique romain) insiste surtout sur les prestations et le rôle social des Eglises (pastorale de la rue, CSP, dénonciation de la politique migratoire).

Si nous ne voulons pas que l’Eglise réformée vaudoise se dissolve, devenant une organisation caritative ou au contraire une fédération de paroisses cultivant leur individualité (congrégationalisme), nous sommes convaincus qu’elle doit accepter d’être une Eglise confessante, c’est-à-dire insister en premier lieu sur la foi sur laquelle elle est fondée et non sur son organisation ou son action sociale. Il s’agit de rappeler aux fidèles d’abord, à la société ensuite, que l’Eglise est avant tout la communauté des croyants fondée dans et par la Parole de Dieu; elle est d’abord la communauté rassemblée par le Christ autour de la Parole et des Sacrements et non une bonne œuvre destinée à plaire à Dieu 1. L’adoption par l’EERV de Principes constitutifs est un premier pas dans ce sens, en attendant une confession de foi. Si l’Eglise reste toujours à réformer, il s’agit d’approfondir la foi et la fidélité à l’Evangile et non le nombre de régions administratives, la convention collective des ministres ou les procédures.

Le Vaudois doit prendre conscience qu’être protestant est une affirmation identitaire, que cela implique de faire partie d’une communauté particulière, de dire publiquement quelque chose de sa foi. Le réformé vaudois doit accepter que les fidèles sont responsables de l’existence même de l’Eglise (comme institution terrestre, le Christ seul nous assurant que les portes de l’Enfer ne prévaudront point contre elle). Le fidèle, par ses dons financiers, mais surtout par son don de soi, est le garant de la vie de l’Eglise.

Confesser les fondements sur lesquels elle est construite n’implique nullement pour l’Eglise vaudoise d’abandonner son multitudinisme. Une Eglise multitudiniste est une communauté ecclésiale qui affirme son attention à tous, sa responsabilité spirituelle pour l’ensemble d’une population, en laissant à Dieu le jugement des cœurs. Ainsi, une Eglise peut être, et même doit être, confessante et multitudiniste. Certes, ce n’est pas le cas, si l’on entend par multitudinisme le fait de ne demander aucune adhésion personnelle ou profession de foi et de considérer l’ensemble d’une population comme membre. Mais alors quelle est la réalité de cette communauté purement formelle, dont les membres (et pourquoi pas les responsables) peuvent nier l’existence même de Dieu? Ne devrait-on pas qualifier de totalitaire une Eglise prétendant embrigader l’ensemble d’une population, y compris les individus se réclamant d’autres religions? En effet, si l’on considère que sont membres d’une Eglise multitudiniste tous, sauf ceux qui élisent une autre confession, il faut admettre que c’est déjà fonder l’appartenance à une telle Eglise sur une confession de foi, certes purement négative.

Le fait de garder la porte ouverte n’implique pas d’abattre les murs! Comment accueillir largement et sans exception de personne ceux qui se tiennent au seuil de l’Eglise, au seuil de la foi, s’il n’y a plus de porte?

Précisons enfin: si l’Eglise vaudoise doit souligner la nécessité d’engagement personnel des fidèles et ne pas uniquement compter sur l’Etat, qu’elle doit réaffirmer sa foi, nous estimons aussi qu’elle doit maintenir tous les liens encore existants avec la société et les autorités publiques. Participer aux manifestations du 1er août ou de sociétés locales, visiter les écoliers ou participer à l’assermentation des autorités n’est nullement incompatible avec l’affirmation de ce qu’est l’Eglise. Au contraire, affirmer sa foi et la prêcher dans la population sont les tâches d’une Eglise multitudiniste.


NOTES:

1 Cf, l’article Eglise d’André Birmelé, dans l’Encyclopédie du Protestantisme, 2e éd.

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