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Autorité naturelle?

Jacques Perrin
La Nation n° 1756 15 avril 2005
Lors de notre séminaire hivernal, trois orateurs se demandèrent si l’autorité peut être dite «naturelle». M. Delacrétaz pensait que oui. M. Charpilloz prétendit ne pas être assez philosophe pour trancher, mais à l’entendre on comprenait que certains chefs s’imposent de façon si indiscutable que l’autorité colle à leur personne comme un trait de caractère. Quant au soussigné, il avança, peut-être imprudemment, que l’autorité se travaille et se construit, que parfois on «gagne en autorité», qu’on peut aussi la perdre, à la suite d’une seule erreur de commandement, bref, qu’elle tient plus aux actes accomplis qu’à une vertu propre au détenteur du pouvoir.

Que faut-il entendre par autorité «naturelle»? Cet adjectif revêt des acceptions diverses. Dans le cas de l’autorité, il signifie à peu près «inné». On dit d’une personne qu’elle a de l’autorité naturelle si elle se met à régner efficacement sur ses subordonnés au moment même où elle prend son commandement. Ceux-ci font ce qu’elle demande sans discuter. Elle n’a pas besoin de recourir aux menaces, aux punitions, aux artifices. Il lui suffit de paraître et d’ordonner pour susciter une adhésion immédiate. La confiance s’établit d’entrée de jeu. L’effort est superflu, le courant passe. Le chef semble avoir reçu l’autorité au berceau, on dit que c’est un chef-né, doté d’un tempérament tel que là où il est associé à l’exercice du pouvoir, l’obéissance suit.

De quelle sorte de tempérament s’agit-il? La personne douée d’autorité naturelle a un caractère serein et entier. Il n’y a pas de duplicité en elle, elle adhère pleinement à ce qu’elle fait. Elle ne transige pas avec la mission reçue qui guide entièrement son action. La concentration sur l’objectif empreint son regard, ses paroles et ses gestes. Son apparence et son état intérieur ne sont pas dissociés. La montagne de muscles qui dissimule une fêlure de l’âme ne fait pas longtemps illusion. En revanche, l’énergie mise à atteindre le but, la rigueur et la droiture dans l’action transcendent un physique ingrat. A l’école, une maîtresse fluette mais décidée, parfaitement au clair avec les connaissances qu’elle doit transmettre, s’imposera plus facilement qu’un homme de belle prestance, indécis et rêvant à un destin plus exaltant que celui de maître d’école.

L’unité de la personne signifie que celle-ci s’aime elle-même et qu’elle aime commander, ce qui lui vaut la confiance de ses subordonnés, car l’amour attire l’amour.

L’harmonie personnelle produit un petit capital de confiance qui assure la réussite des premiers actes de commandement. Puis les succès appellent les succès. L’habitude de gagner s’ajoute à l’autorité naturelle tant et si bien que le chef doué peut se permettre des échecs sans que ses subordonnés ne l’abandonnent. Dans l’histoire, bien des chefs militaires ont accumulé la confiance en remportant des victoires au début de leur carrière. Quand les défaites succèdent aux victoires, la débandade n’a pas lieu. Les grenadiers de la garde de Napoléon auraient suivi leur empereur au bout du monde, malgré la Bérézina, malgré Waterloo...

En fin de compte, il est permis d’admettre que l’autorité naturelle existe, qu’elle tient à une heureuse unité de caractère inspirant une confiance telle que les revers l’entament à peine.

Il faut reconnaître que l’autorité naturelle est inégalement répartie. Elle est un don accordé à de rares individus. Le pouvoir échoit le plus souvent à des personnes qui en sont dépourvues. Des pères et des mères de famille, des professeurs et même des politiciens exercent le pouvoir par nécessité. Ils se trouvent chargés de responsabilités qu’ils n’ont pas recherchées. Sont-ils alors de mauvais chefs? Pas forcément, mais ils doivent se préparer plus minutieusement que les chefs-nés, travailler davantage et s’efforcer de ne pas échouer car leur autorité ne se remet pas d’un échec. A ce genre de chef, il manquera toujours la joie de commander, soit que le poids des responsabilités les écrase, soit que l’aspi- ration à faire autre chose produise en eux une déchirure.

La société d’aujourd’hui vit sur les restes encore appétissants de l’abondance, de sorte que la médiocrité de certains chefs ne se remarque pas. On ressent peu le besoin d’autorité: les erreurs de direction en matière scolaire n’ont pas encore d’effets trop visibles; il est indifférent que notre armée soit bien ou mal commandée puisque nous vivons en paix; l’absence d’autorité dans l’Eglise est prônée comme un bienfait par beaucoup; malgré leurs erreurs, les mêmes têtes politiques reviennent sans cesse sur le devant de la scène. Seuls les directeurs de PME, les commandants de pompiers et les responsables des services de secours ou d’urgences hospitalières se doivent d’être bons.

D’où vient l’autorité naturelle? Il semble qu’elle soit un don. Qui donne alors? Les gènes? Dieu? Dans ce dernier cas, il faudrait parler d’autorité surnaturelle. Mystère.

Ce qui est sûr, c’est que l’idée d’autorité naturelle réservée à quelques élus implique une conception aristocratique de la société. Penser en revanche que l’autorité s’acquiert et se travaille convient à l’opinion démocratique.

Dans la réalité, les deux types de chefs coexistent. Peu importe au fond que les uns soient charismatiques et les autres besogneux, du moment qu’ils assument leurs responsabilités au sein des communautés. Mieux vaut un chef pas très brillant que pas de chef du tout.

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