Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Tendances et dérives

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2031 13 novembre 2015

Il y a, ce n’est pas nouveau, de nombreuses tendances dans l’Eglise évangélique réformée du Canton de Vaud. Actuellement, trois font parler d'elles: la scientifique, l’évangélique et l’humanitaire.

La tendance scientifique est dominante à la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Lausanne. Ses tenants privilégient une approche rationnelle stricte, dégagée de tout a priori, fût-il religieux. Ils n’hésitent pas à soumettre la Bible à une critique systématique, recourant aux méthodes de la recherche historique, à la linguistique, à l’anthropologie, à la sociologie, à la psychologie. Ils entendent bien montrer aux scientifiques modernes que la théologie peut les affronter sur leur terrain.

La tendance évangélique, à l’inverse, privilégie l’adoration et le témoignage. Elle reçoit les Ecritures comme un tout sacré qu’on ne peut aborder qu’avec un mélange de reconnaissance et de crainte. Face à ce texte inspiré et définitif, toute interprétation est susceptible d’infidélité, d’où une approche aussi littérale que possible. De plus, chaque acte de la vie concrète, public ou privé, cultuel ou ordinaire, doit rappeler et célébrer l’omniprésence, la toute-puissance et la bonté de Dieu.

La tendance humanitaire, enfin, privilégie l’Incarnation. Elle rappelle que le Christ fut vrai Dieu mais aussi vrai homme, que le deuxième commandement est indissociable du premier, que la foi sans les œuvres est une foi morte. Elle est tournée vers les pauvres, les marginaux, les laissés pour compte d’ici et d’ailleurs. La mission auprès d’eux passe principalement par l’aide sociale et l’intérêt qu’elle leur manifeste. Cette tendance s’est progressivement complétée d’un volet écologique: le chrétien ne saurait négliger l’avenir de la Terre, dont l’homme a été institué le gérant par son Créateur.

Chacune de ces tendances est légitime. Mais elle ne l’est pleinement que dans la mesure où elle coexiste harmonieusement avec les autres dans le cœur et la tête du croyant. Isolée, elle se dénature rapidement et engendre des dérives qui la trahissent.

La dérive scientifique consiste principalement à inverser l’ordre des priorités. Au lieu d’appliquer la raison aux données de la Révélation, qui sont premières, le théologien scientifique est tenté de soumettre la véracité même de ces données aux critères de la rationalité. En d’autres termes, le surnaturel, les miracles, la Résurrection, les affirmations du Symbole des Apôtres sont ravalés au rang de «manières de dire» et de contes moraux. On va aussi considérer a priori que les prophéties qui se sont réalisées ont été émises après les événements qu’elles annonçaient. Le suc des Ecritures, l’originalité du christianisme trinitaire, les certitudes et les promesses se diluent dans cette approche suspicieuse. Et décider ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas dans la Bible ne dispose pas non plus à l’humilité, engendre même du mépris pour la foi des simples. Réaffirmons – on n’est jamais trop prudent – que nous critiquons ici une dérive, non une tendance qui a sa raison d’être.

La dérive évangélique est symétrique. La présence de Dieu est tellement évidente que la réflexion théologique ne semble plus nécessaire. L’autonomie des êtres créés, la volonté et la liberté humaines sont des mots qui ne recouvrent pas des réalités bien consistantes. La beauté et l’intelligibilité du monde, la réflexion philosophique, la création artistique n’ont pas grande importance non plus: la prière suffit. Cette perspective, soit dit en passant, ne va pas sans un certain mépris de la Création. On ne voit pas non plus, on ne veut pas voir que la proclamation continuelle et sur tous les tons de sa foi peut apparaître comme un jugement perpétuel porté sur autrui, comme une affirmation de soi encombrante, voire comme l’expression d’un véritable autisme religieux, ce qui n’est pas particulièrement efficace du point de vue missionnaire. Encore une fois, nous parlons d’une dérive et non d’une tendance, parfaitement légitime.

La dérive de l’humanitaire est de minimiser l’importance de la réflexion théologique et de la proclamation du salut au nom de l’urgence et de l’efficacité de l’action. Pour ce même motif, l’humanitaire accepte trop facilement qu’on restreigne les libertés et qu’on accorde des pouvoirs discrétionnaires aux pouvoirs politiques nationaux ou supranationaux. Et il ne verra pas grand mal non plus à ce que l’Eglise soutienne une conception explicitement païenne de l’écologie: on n’a pas le temps de faire dans le détail. L’obsession de l’Incarnation finit alors par déboucher sur la résorption pure et simple de Dieu dans le devenir du monde. Il y a dans cet immanentisme inconscient une résurgence du salut par les œuvres. Inutile de répéter que nous nous en prenons à la dérive regrettable d’une tendance qui, en soi, est fondée!

Chacun dérive plus ou moins loin, mais personne n’y échappe totalement.

Les dérives se suscitent les unes les autres, se renforcent et se radicalisent… pour mieux se repousser. Elles font de l’Eglise une inutile foire d’empoigne spirituelle où chacun s’attribue les vertus de sa tendance et juge les autres selon les dérives de la leur. L’inverse serait préférable à tout point de vue: saisir tout ce qu’il y a de légitime dans les autres tendances et rectifier sa propre dérive.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: