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Entre le café du commerce et le paradis - L’initiative pour le revenu de base inconditionnel

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2043 29 avril 2016

Avertissement au lecteur: la finalité révolutionnaire de l’initiative pour un «revenu de base inconditionnel», son texte suffisamment imprécis pour qu’on puisse en moduler l’interprétation en fonction de l’interlocuteur, son argumentation à la fois fuyante et pléthorique, sa désinvolture à l’égard des réalités empêchent d’en donner une approche cohérente et d’en élucider toutes les conséquences. Nous avons dû la traiter morceau par morceau.

Ses trois alinéas disposent que «la Confédération veille à l’instauration d’un revenu de base inconditionnel» (alinéa 1), pour «permettre à l’ensemble de la population de mener une existence digne et de participer à la vie publique» (alinéa 2), la loi réglant «notamment le financement et le montant du revenu de base» (alinéa 3).

L’initiative attend donc de la Confédération qu’elle distribue chaque mois et sans limite dans le temps une masse énorme d’argent à la population. Mais elle ne donne pas la moindre indication sur les mécanismes de calcul, de prélèvement et de redistribution de cette masse: c’est, disent ses partisans, à la loi d’application de régler ces détails.

En réalité, ces données institutionnelles et financières ne sont pas des détails, mais l’épine dorsale du projet. Il est inadmissible de ne pas les trouver explicitement formulées  au moins quant aux principes  dans le texte soumis au souverain.

Le premier alinéa peut être interprété de deux façons, l’une partielle, l’autre intégrale. Le Message fédéral privilégie prudemment la première: toute personne résidant légalement en Suisse, y compris l’enfant, l’étranger et le paresseux, aurait droit, tout au long de sa vie, à un montant mensuel suffisant pour «mener une existence digne». Selon cette interprétation, il ne s’agirait «que» de garantir à chacun un seuil minimal de revenu.

Selon l’interprétation intégrale, en revanche, le revenu inconditionnel de base serait versé à chacun, indépendamment de ce qu’il gagne ou possède. Le terme «inconditionnel» prend ici sa pleine signification. C’est l’interprétation que le site des partisans romands de l'initiative privilégie1. De fait, elle seule réalise pleinement le but philosophique de l’initiative, qui est de casser la relation traditionnelle de nécessité entre le revenu et le travail.

Les partisans et les opposants semblent tomber d’accord sur le fait que ce revenu individuel s’élèverait à Fr. 2500.-pour les adultes et à Fr. 600.- pour les enfants. Acceptons ces chiffres, tout en sachant qu’ils n’ont aucune valeur constitutionnelle. La version partielle coûterait alors environ 20 milliards à la Confédération, soit quatre fois le budget de l'armée. La version intégrale reviendrait à 140 milliards, soit plus de deux fois le budget actuel de la Confédération. Ayons en tête que ces totaux sont calculés en tenant compte du fait que le revenu de base remplacerait partiellement  c’est-à-dire pour les 2500 premiers francs  les assurances sociales, essentiellement vieillesse et survivants, invalidité et chômage, soit, dans un cas comme dans l’autre, une «économie» de l’ordre de 60 milliards.

Où les trouvera-t-on, ces milliards? A la Banque nationale suisse? Faire tourner la planche à billets sans que cela corresponde à une création de richesses peut être justifié quand il s’agit de défendre notre monnaie sur le plan international. Mais la BNS outrepasserait son mandat  qui est de mener «une politique monétaire servant les intérêts généraux du pays»2  en créant de la monnaie dans le seul but de la distribuer à des particuliers.

L’autre voie de financement est fiscale: on peut imaginer une augmentation de la TVA, qui passerait, des 8% actuels, à 16% pour la version partielle et à plus de 50% pour la version intégrale; ou une taxe sur les transactions financières; ou une micro-taxe sur l’ensemble des paiements électroniques; ou un impôt supplémentaire sur les entreprises; ou un mixte de toutes ces «idées». Dans tous les cas, il s’agirait d’augmentations fiscales massives qui se répercuteraient fatalement sur les prix du travail, des marchandises et des services, tant pour nos exportations que pour la vie quotidienne.

Les partisans du revenu de base inconditionnel font comme si l’opulence était consubstantielle à la Confédération et qu’elle pouvait se donner le luxe de payer durablement ses habitants sans contrepartie. C’est lui attribuer une maîtrise de l’avenir à laquelle aucun Etat ne peut prétendre. En fait, la prospérité n’est jamais acquise. Il est irresponsable de créer des postes de grandes dépenses permanentes en tirant argument d’une abondance passagère.

Les partisans prévoient que la robotique et l’informatique ne cessent de réduire la part du travail humain et qu’il n’en existe aujourd’hui déjà plus assez pour occuper tout le monde. Le revenu de base inconditionnel permettrait de partager le travail restant. Passons sur les problèmes que pose le partage du travail et bornons-nous à constater que, jusqu’aujourd’hui en tout cas, les progrès techniques ont plutôt augmenté la masse de travail. En Suisse, selon Domaine public, qui a publié plusieurs articles sur la question, le nombre d’emplois a passé de 2,96 à 4,32 millions d’équivalents plein temps entre 1980 et 20143. Les faits vous contredisent? Ecartez les faits!

Et quelles seront les conséquences de l’initiative sur nos relations internationales, sur nos exportations, sur les flux migratoires? Quelles seront les relations entre ceux qui ne feront plus rien et ceux qui les entretiendront? Les criminels bénéficieront-ils eux aussi du revenu de base inconditionnel? Combien de temps supportera-t-on de verser le revenu de base aux gens riches, et de le verser sans retour aux oisifs? Que fera-t-on de ceux qui auront tout dépensé le soir de la «paie» et tendront la main le reste du mois? Il y a ainsi mille questions que les partisans négligent d’aborder. Ou alors, ils les noient sous une description idyllique des bienfaits du revenu de base inconditionnel. Là, il y en a pour tous les goûts et toutes les couleurs, pour la gauche et la droite, pour les libertariens et les écologistes, pour les riches et les pauvres, pour les artistes et les entrepreneurs, pour les intermittents du spectacle et les partisans du bon scolaire. Au vrai, il semble impossible de ne pas être un bénéficiaire privilégié du «RBI».

On lit sur le site mentionné plus haut que «le RBI, c’est bon pour la santé», que «le RBI est émancipateur et libère la créativité», que «le RBI permet l’entrepreneuriat», que «le RBI permet la création d’emplois», que «le RBI assure l’éducation de chacun à tout âge, tout comme la reconversion professionnelle», que «le RBI permet de choisir librement comment éduquer ses enfants», que «le RBI, c’est bon pour la recherche scientifique libre et tout azimut», que «le RBI, c’est bon pour un journalisme de qualité», que «le RBI favorise les communautés de co-créateurs dans les fab labs4 » et que «le RBI soutient le bénévolat». En résumé, le RBI, c’est trop cool!

Le désir de disposer d’un filet social assurant à chacun des conditions de vie minimales est compréhensible. Il a déjà inspiré toutes sortes de propositions, qui vont de l’amélioration prudente du système existant à la garantie d’un salaire minimum, et de l’impôt négatif à l’assurance générale du revenu. Mais de toutes ces propositions, l’initiative pour un revenu de base inconditionnel est la plus fumeuse, la plus douteuse, la plus coûteuse… la plus inacceptable en votation.

Notes:

1 Pour pleinement déployer ses effets, il faut un revenu de base qui soit de l’argent en plus pour tous. C’est ce que nous défendons. Mais dans une optique de transition en douceur, on peut discuter de mettre en place le RBI intégré dans le revenu global, mais ce n’est pas l’objectif final. Le but est de viser à l’inconditionnalité la plus grande possible, sans discriminer une catégorie de la population par rapport à une autre (www.rbi-oui.ch).

2 Constitution fédérale, art. 99, al. 2.

3 Lire notamment, de Jean-Daniel Delley (Domaine public n° 2119): «Revenu de base inconditionnel et “fin du travail”». On y trouve aussi les liens à d’autres articles sur le sujet (www.domainepublic.ch).

4 Laboratoire mis à disposition d’un public qui a des idées et pas de moyens.

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