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Affaires d’Eglise

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2048 8 juillet 2016

Aucune maison divisée contre elle-même ne peut subsister.

(Matt. 12:25)

L’Eglise est toujours traversée de conflits, théologiques ou disciplinaires, personnels ou de groupes. Doit-on s’étonner de ce qu’ils se caractérisent par une hargne au-dessus de la moyenne? Au fond non, c’est même assez logique si l’on pense que l’institution est censée incarner la perfection jusque dans ses relations internes ordinaires: plus on est haut, plus brutale est la chute.

En ce sens, l’affaire du pasteur licencié avec effet immédiat et gréviste de la faim est exemplaire. D’emblée, elle déborde le cadre des protagonistes, chacun associant ses amis à sa cause. Et d’ami en ami, c’est l’Eglise tout entière qui se trouve entraînée à prendre parti.

Puis c’est la société. On prend naïvement l’ensemble de la population à témoin, sans penser que laver son linge sale en public, c’est le salir davantage. Beaucoup de gens saisissent d’ailleurs mal l’objet de cette empoignade, qui semble risible aux uns et scandaleuse aux autres. Les jours passent et les choses s’enveniment. Le conflit finit par occuper toute la place.

Les cultes qu’on célèbre chaque dimanche sur tout le territoire, les prières, les sacrements, le culte de l’enfance et le catéchisme, les actes de charité, la solidarité sociale, l’exercice légitime de l’autorité dans la défense tant des paroisses que des ministres, sans parler de tous les conflits vaincus et dépassés, en un mot tout ce qui fait le quotidien de l’Eglise, tout ce qui peut la faire aimer et qui justifie son existence ne compte plus pour rien.

Dans cette crise, notre légèreté est incommensurable. Nous en sommes au point de fournir nous mêmes des armes aux adversaires de l’Eglise. Pis, nous suscitons de l’irritation et du mépris à son égard chez des citoyens en principe plutôt bien disposés.

Réduire l’affaire à un conflit de personnes serait doublement faux, d’abord parce que c’est toute la communauté qui en souffre. Ensuite, il y a en arrière-fond quatre autres affaires récentes de licenciements de pasteurs, dont plusieurs ont débouché sur des actions en justice. Elles sont certes distinctes de l’affaire qui défraie la chronique, et aussi fort distinctes entre elles. Mais toutes contribuent à l’ambiance délétère actuelle.

Des fidèles réagissent, quelques-uns dans l’espoir de calmer le jeu, d’autres pour régler un compte personnel. Ils écrivent des articles, envoient des lettres aux journaux. Quelle que soit la pertinence de leurs propos, ils prennent le risque d’approfondir la division.

Certains relativisent le conflit en l’inscrivant dans la perspective plus large d’une rupture entre l’Eglise et la modernité. Aujourd’hui, jugent-ils, le pasteur n’a plus un rôle clair dans l’esprit des gens ni même, parfois, dans le sien propre. Contraint au grand écart entre les exigences contradictoires de sa foi et de l’idéologie dominante, plus d’un oscille entre l’épuisement, la dépression et la révolte.

Plusieurs pasteurs refusent explicitement de prendre parti et en appellent à l’esprit de conciliation. Dans la même perspective, Crêt-Bérard, la maison de l’Eglise et du Pays, a organisé des rencontres de prières et de silence ouvertes à tous.

Le Synode est en train de revoir le Règlement ecclésiastique. Il a étendu le rôle de la commission de médiation et créé une commission de traitement des litiges ainsi qu’une commission de recours contre les décisions de cette dernière en matière de discipline. Cette opération bienvenue sera en principe terminée le 9 septembre prochain.

Dans l’immédiat, Mme la conseillère d’Etat Béatrice Mettraux, responsable du Département des institutions et de la sécurité, a proposé sa médiation.

Le problème, c’est que chacune des parties est sincèrement persuadée qu’elle est dans le vrai et que ses éventuels excès sont largement justifiés par les excès d’en face. Mais si chacun s’accroche à sa vérité «non négociable», aucune médiation n’est envisageable.

La seule issue, c’est que les protagonistes s’oublient eux-mêmes et ne pensent qu’à l’intérêt supérieur de l’Eglise. Pour toute communauté, en effet, c’est sa finalité dernière qui est centrale, définissant les rôles des membres et orientant leurs actions. Par rapport à cette finalité, le membre est en quelque sorte décentré.

Dans certains cas graves et urgents, et pour autant qu’il ne s’agisse pas d’une question de foi, ce décentrement peut lui faire accepter l’idée de renoncer à une position qu’il croit juste: «J’ai raison, mais j’offre à la communauté le sacrifice de mon droit incontestable et inaliénable, de mon ego supérieur et bafoué, de ma juste volonté de faire rendre gorge à mon adversaire.»

Du mal, on peut tirer un bien. Traitée et conclue dans cet esprit, la crise pourrait donner à l’Eglise un peu de cette fameuse «visibilité» qui lui permettrait de se rappeler à un monde qui l’oublie. Nous ne parlons pas de la visibilité de type publicitaire promue à coup de voitures cabossées et de cercueils par le pasteur actuellement en grève. Nous pensons à la visibilité de l’Eglise dans ce qu’elle a de meilleur, de plus original et de moins mondain, dans ce qu’elle offre et que le monde n’offre pas: le fait qu’aucun bien terrestre n’a valeur d’absolu, pas plus le droit et le règlement que la liberté individuelle; le fait que pour un chrétien, il n’y a pas d’offense qui ne soit pardonnable; le fait que le discours sur la compassion n’est rien sans la compassion; le fait qu’il n’y a rien de moins humiliant que l’humilité.

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