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† Ernest Jomini (1921-2016)

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2053 16 septembre 2016

Avec Ernest Jomini, la Ligue vaudoise perd son plus ancien membre, l’un des plus actifs aussi, et jusqu’à la fin. Depuis des années, il lisait et triait chaque matin la grande et moyenne presse pour en tirer ce qui pouvait déclencher l’intérêt ou l’indignation de la rédaction. Quelques jours avant sa mort, les rédacteurs de La Nation recevaient une dernière enveloppe pleine de coupures de journaux. Ce printemps encore, il apportait les coupures lui-même, redescendant alertement les escaliers en tenant son panier roulant à bout de bras.

La marque personnelle d’Ernest Jomini, c’était un engagement sans concession pour le Pays, pondéré par une distance sereine prise à l’égard du monde qui passe. Il replaçait spontanément l’indispensable combat politique dans la perspective apaisante de l’éternité. Cela lui donnait tout à la fois l’énergie nécessaire pour agir sans arrière-pensée retardatrice et la faculté d’aborder le triomphe comme la défaite avec la plus grande équanimité. C’est dans cette perspective aussi que les décisions, si lourdes pour les personnes âgées, d’abandonner son permis de conduire, de s’installer dans un petit appartement et d’assurer toutes sortes de tâches ménagères et infirmières lui furent légères à prendre et à assumer.

Pour lui, les difficultés de la vie étaient autant d’occasions de sanctification.

En lui coexistaient la retenue et la franchise, l’humour pointu (certains disent méchant) des Broyards et le sérieux du détail exact. Ses connaissances en théologie, en histoire vaudoise et suisse, en histoire de l’Eglise aussi, la précision absolue de sa mémoire, ancienne et récente, en faisaient un filet solide et sûr pour nos entretiens du mercredi soir.

Cela l’amusait de prendre des positions paradoxales dans La Nation, comme lorsqu’il félicita1 les Jeunesses socialistes suisses pour leur proposition de supprimer le mariage civil, énumérant sarcastiquement tous les avantages que cela comporterait, tant pour l’Eglise, recouvrant son autonomie dans ce domaine, que pour les veufs, qui pourraient se remarier religieusement, ce qui est le principal, sans plus faire exploser leurs charges fiscales.

En 1978, il fut chargé de constituer un comité vaudois de soutien en vue du vote du peuple et des cantons du 24 septembre sur l’accession du Jura au rang d’Etat cantonal souverain. Avec Dominique Freymond, futur chancelier, météorique, de l’Etat de Vaud, il mit sur pied un comité groupant des personnalités de tous les partis, de la droite à l’extrême-gauche: le pays légal réuni dans les locaux de la Ligue vaudoise pour soutenir la création d’un nouveau canton, nous savourions le symbole.

Il fut président de la SRT2 Vaud et médiateur à la RTSR, rôle qui lui convenait à merveille tant il restait calme, précis et factuel, même en cas de conflit personnel.

Cette sérénité coexistait avec la plus grande intransigeance. C’est ainsi que, par souci d’hygiène morale et de cohérence politique, il décida de ne plus jamais serrer la main des «traîtres», comme il les désignait, qui avaient patronné l’initiative pour la fusion des cantons de Vaud et Genève.

Durant sa longue retraite, il fonctionna plus de dix ans comme «guide d’accueil de Lausanne». Il tira de cette expérience dix-sept articles, parus entre 2012 et 2013, pleins de renseignements précis, d’anecdotes, de comparaisons originales, de descriptions plaisantes des maisons, des rues et des monuments, des groupes qu’il guidait et de ses collègues. On parle d’en faire un petit Cahier de la Renaissance vaudoise.

Fils de pasteur et frère de deux pasteurs, pasteur lui-même, Ernest Jomini exerça son ministère dans les paroisses de Lignerolle, du Sentier et de Pomy. Aux alentours de la quarantaine, il décida de rejoindre l’Eglise catholique romaine. Ce ne fut pas sans créer quelques remous dans notre mouvement. M. Regamey, homme d’unité en toutes choses, souffrait de la division de l’Eglise. Il espérait beaucoup des efforts du mouvement œcuménique Foi et Constitution, ainsi que, bien entendu, de ceux d’Eglise et Liturgie, dont les participants du camp de Valeyres continuent à dire l’Office matin et soir. Mais, pour lui, le rattachement devait se faire au niveau des Eglises, non des personnes. Il réprouvait le passage individuel d’une confession à l’autre, jugeant qu’il aggravait la division de l’Eglise, inspirait toutes sortes d’interprétations malveillantes et avivait les dissensions personnelles.

Ernest Jomini passa outre et abandonna sa tâche de pasteur. Marié et père de jeunes enfants, il ne pouvait être prêtre. Il devint responsable de la maison de retraite de Notre-Dame de Tours, à Cousset. Plus tard, il fut maître de français, d’histoire, d’allemand et d’anglais au collège d’Estavayer.

Pour autant, il ne rompit à aucun moment avec la Ligue vaudoise. Au contraire, il s’employa sans relâche à montrer que les craintes de M. Regamey quant à une exacerbation des différends interconfessionnels étaient infondées. Cela n’alla pas, de sa part, sans grands écarts occasionnels, mutisme contraint et poing dans la poche. Mais cela ne l’empêcha jamais d’accomplir fidèlement ce qu’il avait à faire pour le bien du Canton.

Plus une communauté est forte et liée, plus le caractère unique de chaque membre est précieusement mis en valeur. Et plus son absence crée un vide. C’est ce que nous vivons ces jours avec la disparition d’Ernest Jomini. Nous partageons pleinement le chagrin de sa famille, qui fut constamment présente à l’EMS du Grand-Mont où il passa, avec sa femme et en parfaite lucidité, les dernières semaines de sa vie terrestre. Nous perpétuerons son souvenir.

Notes:

1 La Nation du 26 juin 2015.

2 Sociétés cantonales de Radio et de Télévision.

 

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