Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

L’identité collective

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2056 28 octobre 2016

La référence du législateur d’aujourd’hui, c’est l’individu seul, égal à tous les autres individus de la Terre et identiquement détenteur de ce large éventail de droits qu’on appelle les droits de l’homme. Toute distinction ou spécification de langue, de culture, de religion, de sexe, de nationalité, de dons ne pourrait qu’entacher sa pleine humanité et serait de surcroît source d’inégalités.

Aussi, à chaque nouvelle loi qui les touche, les communautés familiale et nationale, dont le caractère hiérarchique contrarie le principe d’égalité, perdent un peu plus de leur substance au profit de l’individu.

«Au profit» n’est d’ailleurs qu’une façon de parler, car sur le fond cet individu reste invariablement, en toute chose et pour l’éternité, un animal social. Si le droit cède, la nature humaine demeure, et avec elle le besoin d’appartenance. Face à une carence dont même l’individu le plus fruste sent obscurément qu’elle l’affaiblit, on voit se constituer des identités collectives de compensation. C’est le cas de ces jeunes de banlieue qui recréent des collectivités locales. Leur identité se caractérise, à l’interne, par des rites claniques qui permettent au candidat de prouver qu’il est un homme et, à l’externe, par les affrontements avec des bandes territoriales concurrentes ou avec la police, qui n’est à leurs yeux qu’une bande parmi d’autres, simplement mieux armée. Certains ne se réfèrent même pas au nom du quartier, mais à un simple numéro postal. Renens, c’est 1020 (on dit «dix-vingt»), Bussigny c’est dix-trente. Il y a même des quinze-dix, à Moudon! A Praz-Séchaud, on tague «1010 te plante».

Dans le Canton, c’est pour l’heure assez folklorique. Dans certaines banlieues françaises, en revanche, l’appartenance au quartier colle à la peau des habitants dans la mesure où ils n’en sortiront peut-être jamais. La suppression du service militaire obligatoire a cassé leur seule relation avec la collectivité nationale.

Dans ces identités collectives restreintes et basiques, l’universalité humaine est réduite à peu de choses; c’est le particularisme qui domine, arbitraire et despotique.

On pourrait se dire qu’à l’inverse, l’identité mondiale est la plus différenciée, le plus civilisée, la plus universelle de toutes. C’est loin d’être le cas. La langue mondiale est un anglais utilitaire; la morale mondiale se limite au discours standard sur les droits de l’homme; l’art mondial se suffit des signes extérieurs de richesse; la Providence mondiale est celle de la main invisible; et la finalité mondiale n’est qu’une croissance matérielle sans fin. A tout prendre, la réaction tribale des zones de banlieue est incomparablement plus humaine, naturelle et, finalement, plus universelle que cette nébuleuse désincarnée de «citoyens du monde».

Une réaction au mondialisme plus profonde et structurée que celle de ces bandes locales, c’est celle des courants idéologiques européens qui se qualifient eux-mêmes d’«identitaires». Ainsi du «Bloc identitaire» français, devenu «Les Identitaires», dont le but, nous dit son site, est «la préservation de nos identités historiques et charnelles (local, national, civilisationnel)». Ce mouvement plaide pour «la France des régions dans l’Europe des nations». Il défend cependant des positions ethniques et culturelles plutôt que nationales. Autrement dit, il pense en termes d’Europe blanche d’abord et ensuite seulement de nation française. Il est, comme ses frères allemands, autrichiens, polonais, portugais, flamands, italiens, tchèques, opposé à la droite libérale comme à la gauche socialiste. Il est écologique et social. Il est évidemment opposé à toute immigration extra-européenne et à toute idée de multiculturalisme. L’identité s’affirme ici contre l’universalisme des droits de l’homme.

Leur action passe par le réseautage, les petits groupes, les interventions coup-de-poing, comme l’occupation du toit de la mosquée de Poitiers, il y a quatre ans. Ils ont participé à des élections communales ou régionales, mais surtout dans le but de se faire connaître.

Ils sont honnis par le monde officiel.

Sommes-nous des identitaires? Comme eux, nous donnons la plus grande importance à la filiation et aux traditions. Nous partageons leur sens de la durée et la priorité qu’ils donnent à la conquête des esprits sur la conquête des sièges. Nous approuvons leur rejet de la mondialisation, de la centralisation politique, de l’«ethnomasochisme» occidental et de l’immigration indéfinie conçue comme une compensation de notre fécondité insuffisante. Comme eux, nous dénonçons la confusion du temporel et du spirituel propre à l’islam, propre aussi au laïcisme.

Les identitaires, qui se situent idéologiquement dans le prolongement de la Nouvelle Droite des années 1970, sont en revanche mal à l’aise avec ce qu’on appelle «les racines chrétiennes de l’Europe». Ils voient probablement dans le christianisme l’origine de l’universalisme qu’ils condamnent, lequel a engendré l’individualisme, l’égalitarisme, le mépris des différences et le rejet de la virilité au profit de la compassion, en un mot, la décadence européenne. Il y a sur ce point une confusion entre la religion chrétienne proprement dite et une dérive majeure de celle-ci, mais ce n’est pas notre sujet.

Il est en tout cas caractéristique que leur site et leur plaquette de présentation (huit pages fort bien faites) ne fassent aucune allusion au christianisme dans leurs considérations sur l’Europe historique et politique. Pourtant, sur ces deux points, comme en matière d’art, d’architecture, de droit et de philosophie, l’influence chrétienne fut principale. Aujourd’hui encore, partout en Europe, il en reste des éléments importants. Et c’est encore le christianisme qui a fondé le principe de la distinction du temporel et du spirituel, principe dont les identitaires proclament l’importance. Ils souffrent ici d’une tache aveugle qui marginalise leur mouvement.

De leur perspective européenne se dégage une conception assez floue de la nation en tant que réalité politique. De même, on note leur absence complète de souci institutionnel: de la nature et de la légitimité du pouvoir français, de ses origines et de ses limites, de la forme qu’il devrait prendre aujourd’hui, de la façon dont on devrait y accéder, pas un mot. Les Identitaires se contentent d’invoquer le principe équivoque de la subsidiarité. Pas un mot non plus sur les institutions souhaitables pour «l’Europe des nations». La forme des institutions, jusque dans leur moindre détail, est pourtant un élément essentiel de l’identité d’un peuple. Elle devrait être un souci majeur pour ceux qui font profession de rejeter le «système dominant».

Notes:

1 www.bloc-identitaire.com

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: