Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Les paysans et la taxation des gains immobiliers

Jean-Michel Henny
La Nation n° 2064 17 février 2017

Le sujet sera de nouveau à l’ordre du jour du Conseil national ce printemps: faut-il modifier la loi fiscale pour supprimer les effets dévastateurs d’un arrêt du Tribunal fédéral de 20111 ?

Des lois complexes et multiples

C’est en 1940 que le Conseil fédéral a créé un statut fiscal particulier en cas d’aliénation d’immeubles agricoles.

Depuis 1980, la loi fédérale sur l’aménagement du territoire (LAT) oblige les cantons à délimiter clairement les terrains à bâtir de ceux qui ne le sont pas.

En 1994, la loi fédérale sur le droit foncier rural (LDFR) est entrée en vigueur. Ne lui sont soumis que les terrains agricoles situés hors de la zone à bâtir. Ainsi, une parcelle sise en zone de villas, par exemple, n’est pas soumise à la LDFR, même si elle continue à être cultivée par son propriétaire agriculteur. Elle ne doit en principe plus être attribuée à la valeur de rendement agricole dans une succession paysanne et n’est pas soumise aux autres contraintes de la LDFR (prix maximum, charge hypothécaire maximale, interdiction de vente à un non-exploitant à titre personnel, etc.). Une telle parcelle doit donc être exclue de la fortune commerciale de l’agriculteur. Elle fait partie de sa fortune privée. Elle devrait être taxée fiscalement à sa valeur «vénale» et non à une valeur de rendement sensiblement plus basse.

On ne change pas les habitudes

A l’entrée en vigueur de la LDFR, les habitudes fiscales des paysans et de leurs conseillers (fiduciaires) n’ont pas changé et ces terrains sont restés dans le patrimoine de l’entreprise. Le statut particulier réservé aux immeubles agricoles prévu par la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct (LIFD) et la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes (LHID) a continué à s’appliquer à ces terrains jusqu’au tsunami de l’arrêt du Tribunal fédéral de 2011.

Notre Haute cour considère que de telles parcelles ne peuvent plus bénéficier du statut fiscal particulier car, en vertu de la LDFR, elles ne sont plus «agricoles».

Pourquoi un tsunami?

Le cataclysme n’a en réalité touché que certains cantons, soit ceux qui appliquent le système dit «dualiste» aux bénéfices réalisés en cas de vente d’immeubles, qu’ils soient agricoles ou non (LU, OW, GL, ZG, FR, SO, SH, AR, AI, SG, AG, VD, VS et NE). Dans ce système, ce gain en capital est taxé comme si c’était un revenu du vendeur, ou plus précisément comme un bénéfice de l‘entreprise (patrimoine commercial). Pour des montants importants, la charge fiscale, augmentée des cotisations AVS, peut dépasser 50%.

Dans les autres cantons (ZH, BE, UR, SZ, NW, BS, BL, TG, TI, JU et GE), qui appliquent le système dit «moniste», le bénéfice n’est taxé que comme gain immobilier. Le montant du bénéfice ne s’ajoute pas aux revenus de l’entreprise ou du particulier. De plus, le taux de l’impôt sur le gain immobilier est en général sensiblement inférieur au taux de l’impôt sur le revenu. Enfin, il n’est pas soumis à l’AVS.

Dans les cantons «dualistes», les cas où l’impôt se révèle exorbitant, et en tout cas inattendu, ne sont pas rares et défraient la chronique. En 2012, le conseiller national Leo Müller a déposé une motion pour que la loi soit modifiée afin de maintenir la pratique d’avant 2011. Le Conseil fédéral, dûment invité à présenter un projet, s’est exécuté en traînant les pieds et a déposé le 11 mars 2016 un Message relatif à la loi fédérale sur l’imposition des immeubles agricoles et sylvicoles en «renonçant à en demander l’adoption»!

Le Conseil national a pourtant décidé d’aller de l’avant mais le Conseil des Etats a refusé de suivre. C’est la raison pour laquelle, dans le cadre de la navette entre les Chambres, le sujet sera à nouveau traité ce printemps au Conseil national. Les experts estiment que le projet, après le refus du Conseil des Etats, a peu de chance de passer.

Ce n’est pas le juge qui légifère

La situation juridique est complexe et les répercussions financières douloureuses. Mais l’arrêt du Tribunal fédéral est fondé. Ce qui manque, c’est un droit transitoire.

Le paysan qui comptait sur la vente d’un terrain à bâtir ou la remise d’une exploitation sortant en partie du champ d’application de la LDFR voit ses plans bouleversés et les rentrées sur lesquelles il comptait pour rembourser des emprunts ou mettre le pied à l’étrier de son successeur largement amputées. Cette personne n’a eu aucun choix et n’a pas pu, à temps, prendre les dispositions nécessaires pour s’organiser.

Si les Chambres fédérales n’entendent pas donner suite à un projet controversé, elles doivent au moins compléter et aménager le travail du juge. En 2011, le juge a tranché et mis un terme à une pratique qu’il a jugée para-légale. Il n’a pas véritablement «légiféré». Mais il a pris une décision qu’il n’avait pas la possibilité d’aménager pour en rendre les effets acceptables. Il n’appartient pas au Tribunal fédéral d’édicter des dispositions transitoires pour les arrêts qu’il rend. Mais c’est maintenant très clairement aux Chambres fédérales puis, dans un second temps, aux cantons, qu’il incombe de le faire.

Il faut donc prévoir un droit transitoire de plusieurs années pour permettre aux agriculteurs touchés dans les cantons à système dualiste d’extraire les parcelles qui ne sont plus soumises à la LDFR de leur fortune commerciale, pour les faire passer dans leur fortune privée. A l’heure actuelle, compte tenu de l’arrêt du Tribunal fédéral, un tel passage est soumis à l’impôt décrit plus haut.

Lorsque les agriculteurs auront pu se «retourner», il sera alors raisonnable d’appliquer pleinement la jurisprudence du Tribunal fédéral.

En 1995, à l’occasion de l’entrée en vigueur de la LIFD (on peut se référer à l’article 207 LIFD), la Confédération a pris des mesures particulières, limitées dans le temps, en vue d’encourager la liquidation des sociétés immobilières en réduisant de 75% l’impôt normalement dû.

Pourquoi ne pourrait-on pas aujourd’hui, au bénéfice d’agriculteurs injustement touchés de façon excessive et inattendue, édicter des règles leur permettant de s’adapter à cette nouvelle donne? Il s’agit véritablement d’une question de justice et non d’une faveur réservée aux paysans.

Dans un Etat de droit on ne peut pas changer les règles du jeu du jour au lendemain sans période d’adaptation. Plutôt que de fustiger le juge qui joue au législateur, le législateur devrait aménager et rendre supportables les décisions judiciaires qui appellent et imposent son intervention.

Notes:

1 «Le paysan, l’impôt et le juge», La Nation no 1994 du 30 mai 2014.

Le Canton doit agir

A la suite du dépôt par Julien Cuérel et consorts d’un Postulat intitulé «Rendre justice aux lésés de la nouvelle fiscalité agricole – trouver une solution cantonale pour ne pas cautionner un drame humain », une commission a été nommée pour préparer le travail des députés.

Il est évident que si la motion Léo Müller, à la suite de l’arrêt du Tribunal fédéral de 2011, doit être traitée et aboutir à une modification de la législation fédérale, ne serait-ce que par l’introduction d’une réglementation transitoire, il faut aussi que les cas pendants dans le Canton de Vaud soient réglés de façon adéquate.

Le Département cantonal des finances ne peut pas se borner à attendre passivement une modification de la législation fédérale. Des cas douloureux sont en attente d’un règlement. Il ne faut pas oublier que le système dualiste en vigueur dans le Canton crée des problèmes qu’on ne connaît pas à Zurich ou Berne, par exemple, qui bénéficient d’un système moniste.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: