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Un vote populaire sur l’avion de combat?

Jean-François Cavin
La Nation n° 2075 21 juillet 2017

En vue de l’achat d’un nouvel avion de combat, le chef du Département militaire fédéral avance à pas de Sioux. Il sait en effet que le terrain est miné par l’action de deux forces bien distinctes. D’une part, les adversaires de la défense nationale profiteront de toute circonstance favorable à leur idéologie pour remettre en cause le principe ou les modalités de l’acquisition, et même l’utilité d’une aviation militaire; ils répéteront à l’envi qu’on se prépare à la guerre de grand-papa, qu’il n’y a plus de menace «classique», seules les menaces cybernétiques et climatiques ayant de l’importance; ils feront tout pour obtenir un vote populaire avec l’espoir de faire triompher leurs thèses. D’autre part, les fabricants d’avions – qui pensent moins à la sécurité de la Suisse qu’à l’essor de leurs affaires – sont prêts à tous les coups tordus envers leurs concurrents, la cause même de notre équipement aérien dût-elle en souffrir, comme on l’a vu lors de la campagne sur le Gripen.

M. Parmelin, pour tout bien mettre à plat, a constitué deux groupes de travail chargés de rapporter publiquement. L’un, «technique», composé d’experts internes au Département, a présenté quatre scénarios relatifs aux missions et aux caractéristiques des avions nécessaires. L’autre, «d’accompagnement» politique, a évalué les besoins, le contexte, les méthodes, et même les scénarios du groupe «technique»; dans son rapport du 30 mai 2017, il a émis seize recommandations. Quatre de ses membres représentaient les principaux partis politiques, cinq le Département militaire, trois d’autres départements, un l’industrie suisse et un la Société suisse des officiers.

Parmi les sujets abordés figure la question de savoir si le peuple doit se prononcer sur l’acquisition. Le rapport publié ne livre pas d’analyse ou d’arguments, seulement le résultat. La majorité du «groupe d’accompagnement» penche vers la négative, les représentants des partis étant divisés – deux contre deux. La minorité ne précise pas sous quelle forme interviendrait le vote; elle évoque la possibilité de recourir à un arrêté de principe et de planification soumis au référendum facultatif selon l’article 28 de la loi fédérale sur le Parlement. Comme on verra, ce serait une voie assez tortueuse.

Déjà le sujet enflamme le débat politique. La gauche réclame une votation à cor et à cri; après l’affaire du Gripen, ce serait un affront démocratique que de passer par le budget ordinaire. Mme Géraldine Savary veut un vote, non pas sur le type d’appareil, mais sur la mission des forces aériennes (pour la limiter à la police du ciel en temps de paix?) et les moyens à leur donner (tout un programme d’armement et un plan financier?). Les Verts libéraux et le PDC emboîtent le pas, semble-t-il, à la gauche, de même que quelques PLR. L’UDC rétorque à sa manière: pourquoi pas un référendum (l’UDC aime le peuple), mais à condition qu’on institue un référendum financier pour toutes les dépenses importantes, pas seulement militaires. D’autres tiennent à la pratique selon laquelle le peuple ne vote pas sur des décisions d’espèce: ni sur la construction d’un nouveau bâtiment pour l’administration, ni sur l’achat des gamelles, ni non plus, donc, sur l’acquisition de l’avion.

En principe, ces derniers ont raison selon le droit en vigueur. Le référendum facultatif est possible sur les lois – normes générales et abstraites – et sur les arrêtés fédéraux dans la mesure où la Constitution ou la loi le prévoient (art. 141 al. 1 Cst. féd.); lesdits arrêtés fédéraux ne sont pas soumis au référendum lorsqu’ils sont qualifiés d’arrêtés fédéraux simples (art. 163 al. 2 Cst.féd.); or l’Assemblée fédérale arrête les charges et les dépenses d’investissement au moyen du budget et prend les décisions concernées sous forme d’arrêtés fédéraux simples (art. 25 de la loi fédérale sur le Parlement). Donc pas de référendum. Dans le cas du Gripen, M. Maurer a recouru à un montage juridique compliqué, avec la création d’un fonds spécial non prévu jusqu’alors par la législation, pour réussir à se faire battre.

Mais l’article 28 de la loi sur le Parlement, auquel le «groupe d’accompagnement» suggère de recourir? Il prévoit notamment que l’Assemblée fédérale participe aux planifications importantes des activités de l’Etat et, dans ce cadre, prend des décisions de principe ou de planification; cela sous la forme d’un arrêté fédéral simple (non soumis à référendum); mais – nous y voici! – s’ils sont de portée majeure, ils peuvent être pris sous la forme d’un arrêté fédéral tout court, sujet dès lors au référendum facultatif.

Nous doutons fort – entre autres questions d’interprétation de ces dispositions pour le moins sinueuses – que l’achat d’un avion de combat, même si c’est une affaire de taille, constitue en lui-même une planification importante des activités de l’Etat. L’opération doit être planifiée, certes, comme à peu près toute décision avec sa préparation et sa réalisation, mais l’achat est un acte unique. Les planifications dont il est question à l’article 28 précité nous semblent plutôt concerner des projets à composantes et à étapes multiples, comme le développement d’un réseau de communication dans tout le pays, ou un programme de décentralisation de l’administration, ou l’application générale de l’Accord sur le climat. Et, si l’on appliquait ce concept à tout projet particulier d’envergure, cela reviendrait à avoir introduit par la bande, sans s’en rendre compte, le référendum financier, sur décision des Chambres prise de cas en cas! Ce dont il n’a jamais été question et contredirait le texte clair de l’article 25.

Sauf avis de droit contraire soigneusement étayé – ce serait une grande surprise –, la piste tracée par le «groupe d’accompagnement» (qui n’est d’ailleurs pas très sûr de son affaire) conduit donc dans une impasse et, selon la législation en vigueur, le peuple ne doit pas voter sur le nouvel avion de combat.

Une modification du droit, avec l’introduction – consciente! – du référendum financier selon les vues de l’UDC, est-elle souhaitable? Nous n’y sommes pas opposés par principe, tout en remarquant que les crédits d’investissement uniques d’un montant élevé concernent surtout les dépenses d’armement. Il ne faudrait pas que les partisans d’un élargissement des droits populaires jouent le rôle des idiots utiles. Au reste, ce serait une entreprise compliquée, avec probablement une révision de la Constitution fédérale à la clef; il faudrait choisir entre le référendum obligatoire ou facultatif, ou prévoir les deux selon le montant en cause comme dans certains cantons, fixer donc les montants enclenchant le mécanisme, en distinguant entre les dépenses uniques et les dépenses à répétition, harmoniser le tout avec le référendum législatif (car les lois nouvelles entraînent souvent des dépenses nouvelles) et avec la procédure budgétaire, etc. S’engager dans cette voie, c’est prévoir d’y travailler durant de nombreuses années; or ce chantier ne doit pas interférer avec le programme d’acquisition de l’avion, qui doit aboutir avant que l’éventuel référendum financier soit sous toit.

Alors décidément, pour le nouvel avion de combat qu’il faut se préparer à acheter dès maintenant, pas de scrutin populaire! Non par crainte du débat, mais parce qu’il ne faut pas torturer les institutions. Même la grande presse, même le PDC, même Mme Géraldine Savary doivent le comprendre, et donc l’opinion publique a fortiori. M. Parmelin, tenez bon!

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