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Tous égaux, tous exclus

Jacques Perrin
La Nation n° 2084 24 novembre 2017

Il est possible que, grâce à quelque chercheuse en psycho-linguistique devenue cheffe du bureau de l’égalité, les élèves vaudois goûtent bientôt aux joies du langage inclusif. En attendant, ils subissent les méfaits de l’école inclusive.

Selon un article de 24 heures du 8 novembre, l’école inclusive épuise les profs de l’école primaire (1 à 8P). Le journaliste Vincent Maendly résume un rapport du Syndicat des services publics (SSP). Au prix de problèmes organisationnels et humains insolubles, la loi oblige les enseignants à accueillir les élèves souffrant de troubles graves, dont se souciaient naguère des institutions spécialisées. Les conditions de travail se dégradent, dit Julien Eggenberger, président du SSP Vaud. Les enseignants débutants se résignent assez vite à un temps partiel ou refusent les maîtrises de classe. L’école inclusive n’explique pas seule l’usure, apprend-on à la fin de l’article, l’évolution du métier tient beaucoup à des facteurs extérieurs à l’école, d’ordre sociétaux (sic, réd). Ce ne sont plus les mêmes élèves, plus les mêmes parents qu’il y a trente ans. Même s’ils restent très minoritaires, de plus en plus d’enfants sans trouble particulier ont des problèmes de comportement à même de faire exploser la classe.

Pour remédier au problème, le SSP propose de multiples mesures que nous ne discuterons pas ici. La LPS (loi sur la pédagogie spécialisée) entrant en vigueur en août 2018 permettra, paraît-il, des améliorations.

Au cours de l’article, un aveu se glisse soudain: le canton de Vaud a rattrapé son retard dans le domaine de l’école inclusive, une philosophie qui n’est du reste pas critiquée dans son principe.

A ce stade-là, nous recourons à trois maximes qui s’appliquent parfaitement aux affaires scolaires.

Il faut toujours dire ce que l’on voit, surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit, dit Péguy. Sur ce point, le SSP fait à peu près son travail. Il accepte les témoignages unanimes de ses membres sans les atténuer, à part le mot «très» dans très minoritaires. Il ne se soumet pas à l’idéologie au point de rester aveugle à d’évidentes difficultés ou de disqualifier ceux qui en font état.

Une maxime attribuée à Bossuet nous apprend que Dieu se rit de la créature qui déplore les effets dont elle chérit les causes. Se conformant à l’opinion de l’officialité dans son ensemble, le SSP, même s’il constate un risque de naufrage, ne remet pas en cause le principe de l’école inclusive, car celui-ci est porté par un courant irrésistible, l’égalitarisme, qui détruit l’école vaudoise depuis des décennies. Quels que soient les obstacles auxquels maîtres et élèves se heurtent, certaines promesses illusoires doivent être tenues. Tout élève a droit d’accéder à l’enseignement supérieur. L’échec est intolérable durant l’école obligatoire. Il ne saurait résulter que d’erreurs didactiques, de troubles psychologiques qu’on peut soigner, de conditions sociales défavorables que l’institution corrige et compense. L’école est le lieu du vivre-ensemble. Il est inadmissible de discriminer les enfants sur la base de prétendus handicaps, dons ou capacités imaginaires et de les répartir en sections, voies ou niveaux stigmatisants. Les inégalités têtues sont gérées selon les principes peu convaincants de la pédagogie différenciée, dans les classes les plus hétérogènes possible.

Si l’on ne met pas en question la «philosophie» égalitaire régnante, si l’on poursuit dans la même direction sous le prétexte connu qu’on rencontre des difficultés parce qu’on ne va pas assez loin, l’école atteindra une sorte d’égalité très particulière, l’égalité dans le malheur et l’exclusion. Les enfants lourdement handicapés ne seront pas aidés; les élèves abandonnés par leur famille ne seront pas éduqués; les bons élèves s’ennuieront; ils ne recevront pas la nourriture intellectuelle à la hauteur de leur appétit; les parents fortunés recourront toujours plus aux cours privés, voire à la tricherie, le travail étant exécuté par des répétiteurs à la place des enfants; les échecs, plus douloureux, seront remis à plus tard; les cas d’épuisement professionnel des enseignants se multiplieront; certains d’entre eux se détourneront de la profession.

L’école renonce peu à peu à enseigner des disciplines et à en assurer la maîtrise. Elle s’est donné une mission plus exaltante. Elle veut «changer les mentalités», corriger les injustices, interdire toute discrimination, se préoccupant pour la galerie de différences réduites à l’insignifiance.

En fait, l’école inclusive exclut. Afin de faire régner une égalité chimérique, elle maltraite tous ceux qui se distinguent pour de bonnes ou de mauvaises raisons. Les objectifs prétendument généreux de la philosophie inclusive sont en réalité nuisibles.

Troisième maxime: Qui veut faire l’ange fait la bête.

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