Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Les enfants malades de la démocratie

Jacques Perrin
La Nation n° 2087 5 janvier 2018

Qu’évoque le mot «démocratie»? Il paraît que toutes les constitutions du monde, celle de l’Arabie saoudite exceptée, mentionnent la souveraineté populaire. Le peuple commande, c’est ce qu’indique l’étymologie. Dans la réalité de tous les jours, nous pensons à des assemblées où des choix s’effectuent. Nous acceptons ou rejetons un projet, nous élisons des personnes censées nous représenter ou nous diriger. Nous levons la main pour signifier notre approbation, notre refus ou notre abstention. Le «peuple» réunit le plus souvent les membres d’une association quelconque, d’un synode, d’une conférence des maîtres, d’un syndicat.

La démocratie implique l’égalité, car les voix de tous les membres de l’association ont la même valeur. C’est la majorité qui l’emporte, la minorité se plie et, dans le meilleur des cas, on prend en compte l’avis de celle-ci. Celui qui a remporté le plus de suffrages, l’élu, gagne le droit de commander. Il en porte la responsabilité et remet son mandat au délai fixé par la loi.

La démocratie est censée régler, au moyen de procédures admises, le problème de l’attribution du pouvoir. Elle atténuerait, paraît-il, les conflits qu’occasionne toute prise de décision.

On considère que la démocratie s’oppose à la tyrannie d’un seul ou de plusieurs. Pour la plupart des gens, elle incarnerait la justice et la paix. Personne n’imagine sous nos climats que l’on ne soit pas démocrate. La démocratie n’est certes pas parfaite, nous dit-on, mais tout autre régime est pire.

Dans le Matin dimanche du 5 novembre 2017, le chroniqueur Christophe Gallaz, dans un style dont la subtilité défie parfois notre sagacité, s’inquiète pour la démocratie. Elle connaît trois phases: la naissance, la dégénérescence, le suicide. La démocratie est-elle en train de se donner la mort? Gallaz le pense. Au début, elle vise à intégrer tous les individus en une totalité «citoyenne» paisible. A cette fin, elle conçoit directives, lois, règlements et déclarations solennelles en vue d’accéder aux exigences des activistes entretenus par les minorités, enfants malades qu’elle a engendrés. A un certain moment, le brouillage et la confusion s’installent, car les désirs des minorités se succèdent à un rythme élevé et s’accumulent: ceux des démunis, des assurés pressurés par leur caisse maladie, des migrants, des LGBT, des victimes de catastrophes naturelles, des femmes harcelées, des minorités nationales et ethniques, des animaux maltraités, etc. L’abstraction juridique et un fouillis inextricable de règles particulières finissent par nuire au vivant collectif dont la chair n’est plus irriguée, nous dit Gallaz. C’est le vacarme, plus rien n’est stable, la démocratie commet un suicide narcissique, elle meurt de sa pensée parfaite.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la Ligue vaudoise n’a jamais adoré la démocratie. L’effacement d’un régime dont elle s’est toujours méfiée ne lui ferait ni chaud ni froid, mais il y a, il est vrai, pire que la démocratie à la sauce helvétique.

Si l’on examine de près le fonctionnement des minorités, on constate qu’elles sont régies par d’autres normes que les gentils principes démocratiques. Il existe bien, pour la galerie, un voile hypocrite de votes, de procédures et d’élections libres, qui dissimule les coulisses où règnent rapports de force et luttes partisanes. Les décisions «correctes» sont obtenues par les dominants et les habiles, les manipulateurs d’assemblées. Les minorités aussi persécutent leurs propres membres quand ils ne se plient pas aux décisions du comité central. Demandez aux homosexuels ce qu’ils en pensent, ou aux femmes refusant de s’associer à l’effort de guerre de communautés rêvées par leurs chefs!

Ce dont nous avons peur, ce n’est pas de la disparition de la démocratie étouffant sous un monceau de lois, mais du risque qu’elle donne libre cours au penchant tyrannique dont elle est grosse. Aujourd’hui cette inclination se manifeste par le pouvoir d’imposer des décisions dont la justesse se mesure au nombre de votants qui les soutiennent. En temps de paix et d’abondance, on peut s’en accommoder

Plus inquiétante est la tyrannie des minorités hystériques. Il faut craindre les «activistes» avides de délation et désireux de rééduquer la majorité, en lui imposant au besoin une langue nouvelle, sous prétexte de «changer les mentalités», de promouvoir «un monde meilleur», et surtout de lui faire payer les avanies que les minorités affirment – parfois avec raison – avoir subies durant des siècles.

Si les temps viennent à se durcir, la démocratie en mauvaise posture empêchera peut-être les citoyens de débattre du bien commun ou de respecter certaines vérités politiques. Elle préférera se soumettre à la pression de sophistes fabriquant un consensus favorable à leur cause et se gardant bien de converser avec des adversaires dont ils préfèrent ignorer l’existence.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: