Où est la poésie?
Au fond c’est un mystère. La poésie d’aujourd’hui fait fi des mètres et des rimes; le poète écrit pour être lu, regardé, non dit, non récité. Comme si l’asservissement aux règles ne pouvait qu’enlever sa poésie au texte. Fort bien. Mais alors il faut bien se faire à l’idée que ces poèmes, dits «en prose», ne seront pas lus à haute voix, ne seront pas récités, ne seront pas appris par cœur. Apprendre par cœur a mauvaise presse aujourd’hui, notre smartphone nous tient lieu de mémoire universelle… Vraiment? Ce que nous rechercherons parfois sur notre petit écran, ce seront les poèmes que nous tentons de retrouver longtemps, longtemps après que les poètes ont disparu.
Nul doute qu’il y a une poésie profonde, raffinée, quelquefois presque ineffable, dans la Promenade sous les arbres de Jaccottet, et maintenant dans Pour une part d’enfance, de François Debluë. Il faut donc convenir qu’il y a une différence de nature entre la poésie dépourvue de règles, et la poésie classique. Celle-ci n’est pas supérieure à celle-là, elle est autre.
Avec quelque impertinence, que le poète nous pardonnera, je l’espère, nous nous sommes amusé à reprendre un poème de François Debluë, (choisi justement dans Pour une part d’enfance) pour lui donner la rigueur de la rime et du mètre à neuf pieds. Qu’on en juge:
J o u r s d e p l u i e
Ce matin tu regardes tomber Ce matin tu regardes tomber
tomber la pluie sur la vitre Tomber la pluie sur la fenêtre
et tu voudrais suivre tous les sentiers Et tu voudrais suivre les sentiers
que dessinent les gouttes devant toi Que ces gouttes feront apparaître
Tu ne sais pas ce qu’est une averse Tu ne sais pas ce qu’est une averse,
mais déjà tu te réjouis qu’elle dure Mais tu te réjouis qu’elle dure
assez pour te jeter enfin Bien assez pour te jeter enfin
sous ces gouttes tombées du ciel Sous l’onde fraîche, joyeuse et pure,
et sauter à pieds joints dans les flaques Et sauter dans la flaque à pieds joints,
Et ce sera comme une grande douche Heureux sous la douche qui déverse
venue d’en haut venue d’en bas Toute cette eau d’en haut et d’en bas,
qui te fera rire aux éclats. Et qui te fera rire aux éclats !
Qui l’apprendra par cœur?
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Essentialiste toi-même! – Editorial, Olivier Delacrétaz
- La colère de M. Berset – Jean-François Cavin
- «Domaine Public» et les caisses de pensions – Jean-François Cavin
- A propos d’une devise – Frédéric Monnier
- Les nouveaux livres d’Alexandre Voisard et de François Debluë – Bertil Galland
- Ah, que j’aime les militaires! – Jacques Perrin
- Sandre un jour, cendres toujours – Pierre-Gabriel Bieri
- Léon Savary contre les tartuffes – Jean-Philippe Chenaux
- Fédéralisme suisse et principe de subsidiarité – Denis Ramelet
- Cuisine électorale et souveraineté des cantons – Antoine Rochat
- La dernière nuit de Kleopatra – Le Coin du Ronchon