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Un certain malaise

Jean-Blaise Rochat
La Nation n° 2093 30 mars 2018

Le héros farfelu de Gros-Câlin, roman de Romain Gary, adopte un python qu’il doit nourrir de proies vivantes. Il achète une souris «en la choisissant blanche et de luxe». Mais il commet l’erreur, qui va prolonger le jeûne du reptile, de baptiser le délicat rongeur, qui devient alors une personne installée dans l’intimité du narrateur. Blondine ne peut plus devenir un repas.

La une de 24 heures du 22 mars étale ce titre en première page: «Mort de Mike, six policiers lausannois sous enquête.» La résonance serait bien différente avec cette formulation: «Mort d’un dealer nigérian, etc…» On saute au Point fort qui occupe toute la troisième page, et on comprend que la journaliste, Chloé Banerjee-Din, défend la cause de Mike. Mike, c’est le nom d’un copain, d’un pote. On l’a adopté, c’est normal, il est la victime de la brutalité des policiers. L’article offre une tribune complaisante à Me Simon Ntah, pointure du barreau genevois, défenseur des membres de la famille du marchand de came, établis en Italie et en Espagne.

Une photo témoigne de la troisième (!) manifestation organisée «contre les violences policières». Au premier plan, un type dissimulé sous un épais capuchon bordé de fourrure vocifère dans un mégaphone. Derrière lui suit une troupe silencieuse d’Africains – il y a aussi, au fond, un blanc désorienté au bonnet rouge –, exhibant des portraits de Mike et une pancarte froissée illisible en anglais. L’angle de la prise de vue favorise le premier rang et donne une impression de force et de détermination. Une quinzaine de personnes figurent sur le cliché. Si les manifestants avaient été vraiment nombreux, l’angle choisi aurait été la plongée. Donc, quand bien même auraient-ils été le double, sur le plan de la mobilisation, c’est un non-événement, et la place qu’on lui donne relève d’un regrettable sensationnalisme.

Cette photo ruine les efforts déployés par Chloé Banerjee-Din pour nous réunir autour des défenseurs de Mike. Nous accordons plutôt spontanément notre sympathie à la police qui ne s’exprime pas. Cela dit sans préjuger des conclusions de l’enquête en cours. Il n’est pas exagéré de prétendre que l’opinion, déclarée ou non, de la plupart des lecteurs face à l’illustration est la suivante: pourquoi ces gens d’un autre continent défilent-ils chez nous dans une langue étrangère, au lieu d’être chez eux au Nigéria ou ailleurs? Pourquoi viennent-ils chez nous, puisque nous sommes si méchants? Pourquoi acceptons-nous, voire favorisons-nous la présence de cette population?

Le trafic de drogue est une activité parasite et nuisible, et la pancarte en anglais montre l’absence de volonté d’intégration de leurs auteurs. Au Conseil communal de Lausanne, le 20 mars, le socialiste Benoît Gaillard a dû rappeler ce que chacun peut constater quotidiennement, à savoir que, à Lausanne, le trafic de drogue est principalement le fait de gens d’origine africaine. Cette présence indésirable quoique habituellement paisible – les dealers sont d’abord des commerçants, et les commerçants aiment l’ordre dans les rues – est aussi une forme de violence ordinaire faite à la population indigène. Celle-ci ne défile pas, par paresse et surtout par crainte d’être traitée de raciste.

La plupart du temps, ces sentiments n’osent pas s’exprimer publiquement et restent dans la sphère privée. Une retenue qui nous pourrit la vie, faite de crainte, comme nous l’avons dit, peut-être aussi d’un peu de honte, tant on nous force à nous sentir coupables. Une telle situation, ambiguë et hypocrite, porte préjudice aux étrangers intégrés ou désireux de l’être. On ne peut se départir d’un certain malaise.

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