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Le service public face à la modernité

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2095 27 avril 2018

Lors de la campagne No Billag, on a beaucoup parlé de «service public», comme si cette notion allait de soi. Il n’est pourtant pas facile d’en discerner les contours.

On pourrait dire que le service public se situe quelque part entre les tâches fondamentales de l’Etat (défense armée du territoire, ordre dans les rues, administration de la justice) et l’initiative privée. Les ancêtres du service public sont le four banal, la batteuse du village, le service du feu, les chemins vicinaux.

Les services publics ne font pas partie des tâches «régaliennes», mais répondent bel et bien à un intérêt collectif. En ce sens, même s’ils sont d’origine privée, le responsable politique, Etat, commune ou groupement de communes, ne saurait s’en désintéresser. Il peut en assumer directement la charge ou la confier, sous conditions, à des concessionnaires privés ou semi-privés. La principale condition est que ce service soit accessible à tous.

Cette exigence d’universalité fait que le service public n’est souvent pas compatible avec les lois du marché. La route qui mène au chalet d’alpage, l’hydrante, avec ses kilomètres de conduite tirés jusqu’à la ferme foraine, le transport en hélicoptère de l’alpiniste égaré et frigorifié sont nécessairement déficitaires. Cela ne les rend pas moins nécessaires. En d’autres termes, tout service public est pris en charge, totalement ou en partie, par les finances publiques.

Le sol du pays doit être habité, il doit être cultivé, il doit être défendu. En ce triple sens, le réseau routier est un service public. Si les derniers mètres peuvent être construits et entretenus aux frais du propriétaire qui en use seul, il semble normal que chacun ait accès à un réseau public cohérent, entretenu, signalisé, éclairé et déneigé.

Recevoir ou expédier des lettres et des appels téléphoniques, accéder aux médias électroniques et à internet, tout cela fait aujourd’hui partie des activités politiques, économiques et sociales ordinaires. Les décisions de l’Etat doivent être portées à la connaissance de chaque citoyen où qu’il se trouve et dans un délai utile, que ce soit pour s’y conformer ou pour lancer un référendum. C’est dire qu’à plus d’un titre, la poste est un service public, même si certaines de ses activités annexes, comme la vente de livres sur le développement personnel, de feutres de couleurs ou de cartes représentant le jet d’eau de Genève, n’en font pas vraiment partie.

L’Ecole doit-elle être un service public? Elle ne l’a pas toujours été. Le fait est qu’aujourd’hui, savoir lire, écrire et compter est une nécessité de la vie quotidienne. De surcroît, dans un régime fondé sur l’opinion, l’Ecole est le milieu adéquat pour éduquer le citoyen aux «valeurs» fondatrices dudit régime. C’est cohérent, quoi que valent ces valeurs.

L’ampleur des réseaux hospitaliers, le nombre des médecins et du personnel soignant, les montants drainés par les assurances maladie et accidents, la croissance accélérée des médecines scolaires et du travail font de la santé le plus enchevêtré des services publics, le plus intrusif et le plus coûteux.

Il arrive aussi qu’un service public ait une fonction protectrice, pour ne pas dire protectionniste. Quoiqu’on pense des tendances idéologiques de la SSR, on ne peut nier que celle-ci offre un point de vue suisse sur la Suisse et sur l’information internationale, qu’elle assure aux cantons romands un soutien financier particulier qui exprime et renforce la solidarité confédérale, enfin, qu’elle nous protège, au moins un peu, contre les animateurs mégalomanes et les nuisances téléréalitaires des grandes chaînes privées commerciales.

L’évolution des techniques entraîne celle des services publics. Elle en étend continuellement le champ, comme on le voit dans le domaine des transports et des télécommunications. Elle en augmente indéfiniment les coûts, comme on le voit dans le domaine hospitalier. Elle en augmente aussi les risques, comme on le voit avec la production de l’énergie électrique.

En résumé, le terme de service public désigne une intervention durable de l’Etat dans des domaines très divers qui ne relèvent pas, si ce n’est marginalement, de ses tâches essentielles, mais auxquels l’ordre public, l’idéologie dominante ou l’évolution technique impose que tout citoyen puisse accéder. La notion reste floue.

Et ce flou s’augmente du caractère imprécis et mal maîtrisé de la modernité. Dans ce monde où tout semble nous échapper, les services publics sont facilement tentés de perdre de vue leur raison d’être – servir – et leur statut – public – pour se laisser aller au gré de leurs pesanteurs, certains en fusionnant peu à peu avec l’administration (santé), d’autres en se laissant intégrer à une perspective économique supranationale (électricité), les derniers, enfin, en se transformant imperceptiblement en Etat dans l’Etat (SSR). Il revient aux politiques de sauvegarder la double ligne du service et du public.

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