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La famille Olivier sous la loupe

Yves Gerhard
La Nation n° 2098 8 juin 2018

A l’époque où nous étions étudiants, à la Cité, nous travaillions volontiers, latinistes, hellénistes ou historiens de l’Antiquité, dans la Salle Frank Olivier, où nous bûchions sur les ouvrages savants de l’ancien professeur de latin dont nous ignorions tout. Mais nous remarquions bien son admiration pour la philologie allemande (de grands points d’exclamation dans la marge d’une phrase de Victor Bérard sur «les mensonges de la science allemande»!) et son goût, prolongé jusqu’à sa mort en 1964, pour les études de poésie grecque. L’ouvrage exhaustif qui vient de paraître à la Bibliothèque historique vaudoise, sous la plume de David Auberson et Nicolas Gex, nous apprend dans le détail que Frank Olivier avait fait toutes ses études en Allemagne et passé son doctorat à Berlin avec Hermann Diels – privilège rare. Par la suite, il avait aussi été longtemps chancelier de l’Université de Lausanne et avait siégé à la Commission de consécration de l’Eglise nationale, préparant les prémices de la fusion avec l’Eglise libre. Il avait prévu de longue date de léguer sa bibliothèque à la Faculté des lettres, mais la Salle Frank Olivier ne fut inaugurée qu’en 1963, en sa présence; après le transfert à Dorigny, le Gymnase de la Cité, en 1984, affecta ce local à un football de table et à des distributeurs de boissons sucrées…

Son fils François Olivier, pianiste et compositeur, mourut d’un accident de montagne en 1948, et ses relations avec Elie Gagnebin, qui soutenait son œuvre, sont décrites dans le détail – complément bienvenu à notre biographie du géologue et ami des artistes.

Frank était le petit-fils d’Urbain, le romancier de la campagne vaudoise du XIXe siècle, auquel une importante partie de l’ouvrage est consacrée. Il faut dire que la famille Olivier est plus que scrupuleuse et méthodique dans la conservation de ses papiers: le Département des manuscrits de la BCU garde précieusement les 350 cartons que remplissent les cahiers de souvenirs, les lettres, papiers officiels, etc. de la famille, depuis le XVIIe siècle. Les historiens, avant de rédiger la première ligne de leur texte, ont dû d’abord les classer pour éviter de s’y perdre. Preuve en soit les 1277 notes, numérotées en continu, qui donnent les références de chaque citation!

D’autres chapitres sont consacrés à divers membres de la famille Olivier, notamment le couple de médecins Eugène et Charlotte, qui ont lutté contre la tuberculose, alors qu’Eugène consacrait du temps pour rédiger deux volumes bien documentés sur l’histoire de la médecine dans le Pays de Vaud, publiés également par la BHV. D’ailleurs, malgré le titre du présent ouvrage, plus de la moitié du tout est consacrée à d’autres personnalités qu’Urbain et Juste.

Ces deux frères ont eu des destinées fort différentes, et le mérite des historiens est d’avoir rendu compte de leur vie, de leurs priorités, de leurs difficultés, avec tact et finesse. Après un saisissant tableau de la vie dans le jeune Canton au début du XIXe siècle, les chercheurs ont présenté la vie de Juste avec toute la précision que leur permettaient leurs sources abondantes, mais sans se perdre dans trop de détails. Plusieurs aspects de leur vécu personnel apparaissent sous une lumière nouvelle. On me permettra d’insister sur le chapitre consacré à Juste, dont les Cahiers de la Renaissance vaudoise ont réédité le fameux ouvrage Le Canton de Vaud, sa vie et son histoire, publié en deux volumes en 1837 et 1841. Comme le disent les historiens, d’autres ont parlé de cette somme du point de vue littéraire, dans le tome VII de l’Encyclopédie vaudoise ou dans l’Histoire de la littérature en Suisse romande, par exemple. Leur mérite à eux est d’avoir relevé les jugements contemporains, au moment de sa publication, par exemple cette phrase du vieux pasteur Philippe-Sirice Bridel s’adressant à Juste Olivier, qui «félicite notre pays d’avoir un historien tel que vous, Monsieur le Professeur, certes si le Canton de Vaud avait été une jolie femme, elle n’aurait pu avoir un amant plus spirituel, plus tendre et plus flatteur» (p. 90). Ailleurs on relève les dons de l’écrivain et sa facilité: «Il y a là des abus de talent, mais non pas absence de talent.»

On se rappelle que les Cahiers Vaudois, sous la plume d’Edmond Gilliard, ont fait appel à cet ouvrage comme une référence: «Les Cahiers Vaudois ont été fondés en 1837. Leur fondateur avait nom Juste Olivier. […] Il n’y a pas de tradition qui ne soit présente création; rien n’est permanent qui ne soit actuel. Nous marquons, en Juste Olivier, la constance du présent.» Ces lignes datent de 1914.

Et Marcel Regamey admirait l’œuvre sensible et si poétique qu’est Le Canton de Vaud. Il nous relisait volontiers «la jeune fille indolente et belle»: «Notre patrie est la jeune fille qui s’ignore, et s’oublie dans sa beauté même […]. On ne la voudrait pas moins célestement belle; mais elle l’est trop pour ne pas faire désirer que ce marbre trouve une âme à la fin, qu’il marche et qu’il vive.» (Le Canton de Vaud, t. I, p. 76.) En cette année de préparation de la Fête des Vignerons, on relira la description classique d’Olivier: «L’Abbaye-des-Vignerons est le résumé de tous ces divertissements rustiques, et notre grande fête nationale. […] C’est une rose de cathédrale en action. […] Quand l’immense procession déploie son orbe éclatante et diaprée au milieu des murs serrés de la foule, vous croiriez voir une rose aux proportions mille fois gigantesques, aux feuilles humaines et frémissantes, qui roulent dans leur calice bourdonnant […] les labeurs et les joies des hommes, et le passé, et la terre et les cieux.» (Ibid., p. 367)

Ce livre si riche mérite d’être lu et relu, peut-être à petites doses. Et l’on se rappellera le mot de Ramuz, dans sa lettre-préface aux Zofingiens: «La présente lettre ne sera donc qu’un témoignage, celui d’un homme qui tenait à vous dire la joie qu’il éprouve à voir Olivier, grâce à vous, rétabli, il serait plus juste de dire établi enfin à sa vraie place, qui est celle pour nous d’un classique, de notre seul classique vaudois.»

Référence:

David Auberson et Nicolas Gex, Urbain et Juste Olivier, Une grande famille vaudoise aux XIXe et XXe siècles, Bibliothèque historique vaudoise, No 146, 2018, 396 pages.

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