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Constitution fédérale ou manifeste politique?

Jean-Michel Henny
La Nation n° 2103 17 août 2018

Par quoi commencer?

Le 23 septembre prochain, nous voterons sur trois objets. Deux concernent les denrées alimentaires et l’agriculture. C’est la suite juridique et politique du dépôt d’une initiative «Pour la souveraineté alimentaire. L’agriculture nous concerne toutes et tous», déposée par le syndicat agricole «dissident» Uniterre, et d’une initiative «Pour des denrées alimentaires saines et produites dans des conditions équitables et écologiques (initiative pour des aliments équitables)», déposée par Les Verts.

Ces deux textes constitutionnels, qui suivraient l’article 104, entré en vigueur avec la Constitution de 1999, et l’article 104a «Pour la sécurité alimentaire» accepté très largement par le peuple et les cantons le 24 septembre 2017, porteraient les nos 104b et 104c.

L’agriculture est un sujet à la mode. Si ces deux initiatives étaient acceptées, notre charte fondamentale lui consacrerait plusieurs pages superposant les concepts juridiques indéterminés et les notions à interprétations multiples. Même une chatte aguerrie n’y retrouverait pas ses petits. Comment alors nos parlementaires fédéraux en tireraient-ils des lois claires allant dans le bon sens?

Que nous propose-t-on? Il faudrait plusieurs numéros de ce journal pour tout expliquer.

La souveraineté alimentaire

Ce terme n’est pas vraiment défini mais la notion devrait être mise en œuvre par la Confédération qui favoriserait une agriculture paysanne indigène rémunératrice (il n’y a pas de virgules dans le texte de l’initiative) et diversifiée, fournissant des denrées alimentaires saines et répondant aux attentes sociales et écologiques de la population. Les aliments et les fourrages pour les animaux devraient provenir de façon prépondérante de la production indigène. Il faudrait aussi augmenter le nombre d’agriculteurs, préserver les surfaces d’assolement, empêcher la monopolisation du commerce des semences, enfin, interdire les OGM.

Pour accomplir sa mission, la Confédération devrait soutenir les organisations paysannes qui assurent l’adéquation entre l’offre et la demande, garantir la transparence du marché tout en favorisant des prix équitables et en soutenant la vente directe.

La Confédération devrait aussi uniformiser les salaires des ouvriers agricoles.

Pour arriver à ces résultats, la Confédération pourrait prélever des droits de douane et limiter les importations, avec la possibilité de surtaxer ou même d’interdire totalement l’importation de produits ne répondant pas aux normes helvétiques. Elle aurait même le droit de s’écarter des normes internationales s’agissant de la qualité des produits à importer.

La Confédération ne serait plus autorisée à subsidier les exportations de produits agricoles.

C’est un vrai programme politique. D’ailleurs, bon nombre des objectifs listés plus haut figurent déjà aux articles 104 et 104a de la Constitution. Il n’y a rien d’étonnant à cela car les deux initiatives dont il est question ici ont été lancées presque en même temps que celle de l’Union Suisse des Paysans qui a été acceptée en votation populaire l’année dernière.

Un tel catalogue n’a pas sa place dans la Constitution. Comment d’ailleurs garantir une législation d’application conforme aux vœux des initiants? Qu’est-ce qu’une agriculture «paysanne», «diversifiée», «rémunératrice», que sont les «attentes sociales et écologiques de la population»? Comment augmenter le nombre de paysans sans leur interdire le recours aux machines qui allègent et simplifient leur labeur? Doit-on réintroduire le labour dans le Jorat avec des bœufs? Pourquoi ôter aux cantons leur compétence en matière de contrat-cadre pour le travail agricole?

Peut-on vraiment ne pas respecter, voire dénoncer des accords internationaux de commerce en augmentant les droits de douane qui ont pour effet de renchérir le coût des aliments?

Est-ce que cette disposition nouvelle permettrait vraiment de bannir les effets du «Cassis de Dijon»? Rien n’est moins sûr, ainsi que le Parlement l’a montré il n’y a pas si longtemps en refusant d’en exclure les produits agricoles.

Les aliments équitables

Qu’est-ce qu’un aliment équitable? Selon le vœu des initiants, la Confédération serait appelée à renforcer l’offre de denrées alimentaires sûres, de bonne qualité et produites dans le respect de l’environnement, des ressources et des animaux, ainsi que dans des conditions de travail équitables. La Confédération devrait s’assurer que les produits importés, qu’il s’agisse de denrées alimentaires ou de fourrage, respectent les mêmes exigences en privilégiant les produits importés issus du commerce équitable et d’exploitations paysannes cultivant le sol.

La Confédération devrait veiller à la réduction des incidences négatives du transport et de l’entreposage des denrées alimentaires sur l’environnement et le climat.

Pour arriver à ses fins, la Confédération pourrait légiférer sur la mise en marché de denrées alimentaires selon leur mode de production et de transformation, réglementer l’attribution de contingents tarifaires et moduler les droits à l’importation. Elle pourrait conclure des conventions d’objectifs contraignantes avec le secteur des denrées alimentaires, notamment avec les importateurs et le commerce de détail. Elle encouragerait la transformation et la commercialisation de denrées alimentaires issues de la production régionale et saisonnière et prendrait enfin des mesures pour endiguer le gaspillage des denrées alimentaires.

En Suisse, les lois qui régissent la qualité des denrées alimentaires sont multiples et sont en principe respectées. Les règles strictes sur la protection de l’environnement et la protection des animaux sont appliquées de façon rigoureuse. Comment pourrait-on, au sens de l’initiative, contrôler ce qui se fait à l’étranger? Si les initiants ont certainement une idée très claire de ce qu’est le «commerce équitable», cette notion n’est pas interprétée de la même manière selon la place du député fédéral dans les deux hémicycles bernois. Ce qui serait en revanche nouveau, c’est la compétence déléguée à la Confédération de conclure des conventions d’objectifs contraignantes. Là aussi, les initiants ont vraisemblablement  une idée claire de ce qu’ils souhaitent. Mais aucune indication n’est donnée dans la Constitution. On ignore ce que le législateur pourrait en tirer.

A l’heure actuelle, chacun est conscient de la nécessité d’éviter le gaspillage. De nombreuses initiatives sont prises dans ce sens par les collectivités publiques, les restaurateurs et la population dans son ensemble. Va-t-on imposer aux restaurateurs d’obliger leurs clients à finir leur assiette avant de partir?

Deux textes inutiles

La première initiative transformerait M. Schneider-Ammann en «paysan fédéral» gouvernant tout avec de multiples lois et ordonnances, comme s’il n’y en avait pas encore suffisamment. D’ailleurs, il n’est pas sûr que l’actuel ministre en charge de l’économie et de l’agriculture aille vraiment dans le sens des initiants!

Quant aux aliments sûrs et équitables, on a la nette impression que l’initiative est aujourd’hui dépassée par une évidente prise de conscience de la population qui se tourne de plus en plus vers des aliments indigènes, de culture biologique et en vente directe. Pourquoi créer une bureaucratie supplémentaire pour contraindre alors qu’une majorité de la population va dans le sens souhaité?

Ces deux initiatives méritent un refus clair et net.

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