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Le Soldat massacré

Jean-François Cavin
La Nation n° 2107 12 octobre 2018

Nous ne sommes pas opposé par principe à la modernisation des mises en scène, à la transposition de pièces anciennes dans le monde contemporain, à Marivaux en blue-jeans, à Don Giovanni sous les traits de Weinstein. On peut même s’accommoder de légères contradictions de ces présentations actualisées avec le texte, admettre en souriant de petits anachronismes. L’imagination d’un metteur en scène novateur va peut-être nous révéler un aspect inédit d’un drame qu’on croyait  bien connaître. Mais ces tentatives doivent respecter l’essence de l’œuvre et des intentions des auteurs.

Donnée au Théâtre Municipal de Lausanne, lieu de sa création, le 28 septembre, jour de sa création en 1918, Histoire du soldat, produit par notre opéra en collaboration avec deux scènes françaises dans une version du metteur en scène espagnol Àlex Ollé, trahit l’œuvre centenaire à double titre.

D’abord, elle est à côté du sujet. Son concepteur insiste sur les horreurs de la guerre: lamentations d’un GI suicidaire à son retour d’Irak, soldat mourant sur un lit d’hôpital militaire, projection de scènes de torture, destruction d’un décor sous des rafales de fusil-mitrailleur… Or Histoire du soldat n’a rien de belliqueux; le soldat rentre chez lui en permission, dans son village en paix; c’est un soldat parce que c’est un homme du rang, et non pas un personnage d’exception; ce pourrait être un roulier; le soldat n’a pas de grenades explosives dans son sac, mais un violon: c’est son âme. L’insistance à nous emmener dans la violence guerrière nous distrait du véritable enjeu: peut-on impunément vendre son âme au Diable?

Ensuite, cette mise en scène dans l’ensemble grandiloquente (même s’il y a quelques effets réussis) est profondément contraire à l’esthétique des auteurs, l’un et l’autre hostiles au pathos. Ils nous offrent un conte populaire, sans prétention apparente, avec des mots simples, qui disent l’essentiel seulement, et avec une musique elle aussi parfaite de concision. La qualité extraordinaire de ce texte et de cette musique fait que notre mémoire collective s’en est tout naturellement imprégnée. Le fatras qu’ajoute M. Ollé est incompatible avec un art tout de sobriété.

Pour ses cent ans, le Soldat méritait mieux que d’être massacré.

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