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Petite discographie sélective de l’Histoire du Soldat

Jean-Blaise Rochat
La Nation n° 2107 12 octobre 2018

Le catalogue des enregistrements de l’Histoire du Soldat apparaît très abondant, ce qui n’est guère étonnant en considération de la qualité de l’œuvre. Malheureusement, il s’agit le plus souvent de la suite instrumentale tirée de la version originale par Stravinsky lui-même, afin de donner à sa musique une plus large audience. C’est une pratique courante: par exemple Poulenc a fait de même pour son ballet Les Biches, Stravinsky pour Pulcinella. Dans le cas de l’Histoire du Soldat, l’opération est tout de même dommageable, parce qu’il s’agit d’une création commune où la part de Ramuz est aussi importante que celle du musicien. Dans les deux ballets cités, le but était de réduire la durée de la partition et d’en ôter les parties vocales secondaires, afin d’en permettre plus aisément l’exécution en concert. Quels que soient les mérites de la suite, nous ne nous intéresserons ici qu’à la version intégrale. Et là, la situation discographique, sans être sinistrée, est beaucoup plus restreinte.

Parmi les témoignages anciens, trois méritent d’être retenus. Tout d’abord, une captation publique avec Ansermet, créateur de l’œuvre, est-il nécessaire de le rappeler. Côté musique, on est bien servi, mais cette archive souffre de deux défauts: un son médiocre (1952), et l’interprétation affectée de Gilles en narrateur. A réserver aux collectionneurs (chez Cascavelle).

Chronologiquement, on s’arrêtera sur un enregistrement réalisé en marge du festival Montreux-Vevey en automne 1962. L’affiche est impressionnante autant que le résultat: Jean Cocteau excelle en véritable musicien acteur dans le rôle du narrateur. Peter Ustinov campe un diable hypocrite et bonnasse. Jean-Marie Fertey a toute la naïveté voulue dans le rôle du soldat. Des solistes de l’OSR avec Maurice André au cornet à piston sont rondement menés par Igor Markevitch, dont on rappellera qu’il est quelque peu veveysan. Le 33 tours d’origine était un somptueux album cartonné au dos toilé, avec un dessin original de Cocteau sur la couverture. La disponibilité en CD est incertaine (c’est un scandale), mais heureusement il y a Youtube.

En juin 1970, Peter Willemoës, ingénieur du son chez Erato, posait ses micros dans la salle de spectacle de Renens, réputée pour son accoustique. Un ensemble instrumental et des acteurs du cru excellemment dirigés par Charles Dutoit signent une version de référence, la plus vaudoise, mais de portée aussi universelle que la précédente. Gérard Carrat est le récitant, François Berthet le soldat, et François Simon incarne un diable sordide et grinçant.

On peut s’intéresser à une version très estimable et équilibrée, dirigée par Shlomo Mintz qui tient aussi la partie de violon. Elle est accessible sur Youtube et dans le commerce (CD Naïve 1997, rééd. 2014). Carole Bouquet, récitante accompagne Gérard et Guillaume Depardieu.

Le centenaire de l’œuvre a suscité une production nouvelle chez Harmonia Mundi. La prise de son est remarquable et l’édition très soignée, qui offre l’intégralité du texte; ce dernier point mérite d’être souligné, c’est un cas unique. On passera sur quelques menus défauts de scansion du narrateur, Didier Sandre, par ailleurs convaincant, et on louera l’engagement et le naturel de deux grosses pointures mobilisées au service du texte de Ramuz: Denis Podalydès endosse le rôle du soldat et Michel Vuillermoz le diable. L’ensemble instrumental dirigé par Christophe Gayot pétille de vitalité et ne démérite pas par rapport aux précédents.

Sous ses airs de musique populaire transformée, la partition est redoutable de difficulté. L’étonnant est qu’il n’y a guère de ratage de ce côté-là. Les sept instrumentistes sont autant de solistes et ne peuvent être des musiciens moyens. Les interprétations mentionnées ci-dessus ont toutes leur mérite et servent au mieux la musique de Stravinsky. Mais il en est une qui les surpasse toutes, elle est signée par les Boston Symphony Chamber Players. C’est fruité, bariolé, bondissant. Le caractère populaire ressort avec une évidence nonpareille: ça va de la fanfare villageoise à la bande-son d’un dessin animé en passant par le music-hall, la musique d’église. Enregistrée en 2006 par la Deutsche Gramophon Gesellschaft, cette interprétation enthousiasmante a été rééditée en 2017 à petit prix. Alors, c’est LA version? Oui et non, car elle est en anglais, certes dans une bonne traduction, et servie par des acteurs à la hauteur. Cependant on ne reconnaît plus Ramuz. Il faut la posséder, mais en complément d’une autre. Le CD comprend en outre le trop rare septuor de 1954, ce qui est une raison supplémentaire pour l’acquérir.

PS: Courez sur Youtube, tapez «Histoire du soldat Boulez», et vous tomberez sur un remarquable documentaire de 50 minutes (1989).

 

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