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Une politique agricole d’avenir

Jean-Michel Henny
La Nation n° 2107 12 octobre 2018

C’est le titre d’une récente publication d’Avenir Suisse1. La version originale en allemand compte 151 pages résumées en français en 63 pages, mais l’essentiel y est.

Ce document propose une véritable disruption de la politique agricole fédérale, soit bien plus qu’une révolution. L’analyse du système en place estime son coût à 20 milliards de francs. Les contribuables et consommateurs en supportent 47%. En plus, il y a des coûts environnementaux et des surcharges pour les entreprises. Et cela malgré le fait que le secteur agricole a une «valeur ajoutée largement négative» et ne génère «que» 0,7% du produit intérieur brut pour maintenir un peu plus de 50’000 exploitations surendettées et qui ne profitent le plus souvent pas des privilèges qui leur sont accordés.

Tout le système est contesté: les 4’000 pages de prescriptions législatives, les barrières douanières, les paiements directs, les mesures de protection de l’environnement, etc. Force est ici de se borner à évoquer brièvement les mesures préconisées par Avenir Suisse pour corriger cette situation qui lui paraît contraire aux intérêts des habitants de ce pays et, surtout peut-être, à ceux des entreprises exportatrices. Car c’est un leitmotiv: la politique agricole protectionniste empêche la conclusion d’accords commerciaux et gêne l’industrie.

Mais qui est Avenir Suisse?

Cette fondation se définit comme un « think tank indépendant qui développe des idées pour le futur de la Suisse en se fondant sur des études scientifiques et des principes libéraux, inspirés par l’économie de marché ». Elle affirme développer ses points de vue de manière libre et indépendamment de toute influence politique, cette indépendance lui étant garantie par un financement assuré plusieurs années à l’avance. En tant que fondation à but non lucratif ayant pour vocation de penser et de faire des recherches de manière libre, Avenir Suisse ne participe pas activement aux procédures de consultation ou à des campagnes liées aux votations « contrairement aux organisations et aux groupes d’intérêts », pour reprendre sa présentation. Elle dispose d’une équipe de 35 personnes et d’un budget de 5,5 millions de francs par année. Elle « s’inspire des valeurs libérales pour la société et l’économie de marché ». Elle fait partager sa conviction qu’une prospérité largement répandue en Suisse ne peut que reposer sur un Etat libéral et une société ouverte. L’initiative personnelle, la responsabilité individuelle ainsi que l’esprit de réforme doivent être constamment encouragés.

Que penser de cette profession de foi?

Avenir Suisse joue la transparence puisqu’elle donne la liste de ses «donateurs». Parmi les fondateurs on trouve Hoffmann Laroche, Galenica et Novartis ainsi que l’UBS, Crédit Suisse et l’Association des Banques Privées Suisses, Zurich Assurances, MacKinsey et Nestlé auxquels s’ajoutent de nombreuses autres entreprises importantes comme ABB, Adecco, Allianz, Alpiq, Bâloise, BCV, BBC, Ernst & Young, Ferring, Firmenich, Generali, Givaudan, Groupe Mutuel, Helsana, Helvetia, Hirslanden, Implenia, Lonza, Microsoft, Philipp Morris, Securitas, Sulzer, Swisscom, Swiss, Swisslife, Vaudoise.

Cette liste non exhaustive montre que la grande distribution (Migros, Coop et Fenaco – Landi) ne font pas partie des donateurs. Cela explique peut-être pourquoi ils sont égratignés dans cette publication liée à la politique agricole. Ces grands groupes sont considérés comme les principaux bénéficiaires des largesses fédérales en faveur de l’agriculture. Sur ce point, on ne peut donner entièrement tort à Avenir Suisse.

Mais que propose cette «politique agricole d’avenir»?

La stratégie à suivre s’articule en dix points à l’horizon 2030. Toutes les mesures doivent réduire les coûts pour les consommateurs et les contribuables, principalement, tout en donnant une «perspective entrepreneuriale aux paysans». Il faut notamment:

–  Réduire la protection douanière sur les biens agricoles et réduire le prix des denrées alimentaires en saisissant de nouvelles occasions d’exportation.

–  Abolir les subventions préservant les structures (crédit d’investissement pour l’agriculture).

–  Renoncer aux subventions pour la promotion des ventes de produits agricoles.

–  Réduire l’indemnisation des prestations d’intérêt général (contribution à la protection de l’environnement) en mettant ces prestations en concours et en ouvrant des marchés publics pour ce type d’activité, marchés publics bien entendu ouverts à tout un chacun.

–  Renoncer à produire un maximum en Suisse pour la sécurité de l’approvisionnement en diversifiant les sources d’importation et en créant une «réserve stratégique» pour assurer la sécurité d’approvisionnement; en produisant moins en Suisse on évite de charger l’environnement; les champs en partie abandonnés ne seraient plus ni engraissés ni traités.

–  Réduire la densité législative agricole en définissant des objectifs et en laissant une plus grande marge de manœuvre aux agriculteurs; cette activité serait ainsi plus ouverte aux tiers et en particulier aux entreprises non agricoles.

–  «Moderniser» le droit foncier en supprimant les notions de valeur de rendement et en permettant à tout un chacun d’acquérir des terres agricoles.

–  Diminuer les coûts environnementaux en favorisant une agriculture moins intensive, donc moins productive, qui permet d’accroître les importations.

–  Mettre un frein à l’influence de ce que l’analyse appelle le «complexe agricole», qu’il faut traduire par lobby agricole, trop influent selon Avenir Suisse.

–  Réviser le contrôle des fusions en bridant des acquisitions nouvelles pour Coop et Migros, en particulier, qui deviennent trop importants et trop dominants en Suisse.».

Selon Avenir Suisse, ces mesures pourraient réduire les coûts économiques liés à l’économie agricole d’environ 14,4 milliards de francs par an.

La publication d’Avenir Suisse nourrit le débat et met en lumière quelques dérives. En particulier, pourquoi abaisse-t-on artificiellement le prix des denrées alimentaires en versant aux paysans des montants qui ne couvrent pas leurs coûts, mais en compensant ce manque  à gagner par des paiements directs totalement artificiels? C’est un effet pervers du libéralisme des échanges internationaux qui mettent l’agriculture sur le même plan que d’autres secteurs économiques, en violation flagrante de ses spécificités. Il faut donc corriger ce libéralisme par une grosse dose d’interventionnisme.

La sécurité alimentaire, destinée à nourrir un peuple en cas de difficultés d’approvisionnement ou de conflits, ne peut être garantie que par une production indigène. La sécurité militaire ne peut être assurée que par une armée «indigène». On ne peut pas compter sur des boucliers étrangers.

C’est l’élément qu’Avenir Suisse omet de prendre en compte. Maintenir en Suisse une population paysanne est vital pour la sécurité alimentaire et pour l’équilibre social. Un pays sans paysan n’existe plus. Merci à Avenir Suisse de nous permettre de le rappeler!

Notes:

1  On peut consulter ce document sur le site www.avenir-suisse.ch.

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