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Pour le bien de la communauté

Olivier Klunge
La Nation n° 2109 9 novembre 2018

Dans la campagne sur l’initiative pour l’autodétermination (contre les juges étrangers), le Conseil de la Fédération des Eglises Protestantes de Suisse (FEPS) ne donne pas formellement de recommandation de vote, mais a adopté trois «messages» qui ne laissent aucun doute sur l’opposition de cette institution à ladite initiative1.

Certes, les argumentaires de campagne ne sont usuellement pas le lieu de réflexions profondes et la concision d’une présentation tenant sur une page A4 impose certains raccourcis; mais l’indigence du raisonnement de la FEPS est criante.

A titre liminaire, nous remarquerons que ces «messages» visent à montrer la nécessité pour une démocratie de respecter les droits de l’homme (que la FEPS nomme droits humains à la suite de Micheline Calmy-Rey). Ce faisant, la FEPS (par ignorance ou par sournoiserie?) se trompe de cible. Le catalogue des droits fondamentaux garantis par la Constitution fédérale n’a rien à envier à celui de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) ou de la Déclaration universelle de l’ONU. Les traités internationaux peuvent également être modifiés suivant les modes du moment, comme le peuple et les cantons peuvent amender la Constitution fédérale. Ce qui est en jeu dans l’initiative n’est pas la place des droits de l’homme dans notre ordre juridique, mais de savoir si l’interprétation de ces principes généraux par des juges doit être préférée à celle que le peuple et les cantons entendent leur donner dans un processus législatif.

1er message : Unis dans la fraternité. La FEPS nous explique que, si l’Eglise n’est pas le monde, elle est un modèle pour le monde. Comme communauté universelle fondée sur le baptême2,  l’Eglise témoigne d’un esprit d’unité de l’humanité, duquel l’Etat peut s’inspirer. Les droits humains constituent, dans les limites humaines, une tentative pour intégrer cet esprit de fraternité à l’organisation politique.

Comme l’Eglise, l’Etat (nous préférons le terme Patrie) a une dimension universelle en ce qu’il a pour mission de prendre en compte et de favoriser le développement de l’humanité, de la fraternité, entre ses membres. Comme pour l’Eglise, il s’agit avant tout d’une question qualitative et non quantitative. Surtout, l’esprit d’unité qui habite l’Eglise est le fruit d’une soumission au Christ, tête de ce corps social. Les droits de l’homme, fondés sur l’affirmation de droits individuels absolus, ne procèdent aucunement de cet élan.

2e message : Contre la tendance du souverain à se prendre pour un dieu. La FEPS affirme d’abord que le droit humain s’exerce sous la réserve du droit de Dieu. Cette soumission du législateur à l’ordre divin est une condition importante de la démocratie elle-même, pour se protéger d’une dictature de la majorité. Le Conseil de la FEPS en déduit qu’en limitant tous deux le pouvoir du souverain politique, conviction chrétienne et droits de l’homme sont sur la même longueur d’onde. C’est la logique dont se targue (peut-on dire se targuait?) la théologie de la libération prétendant faire un bout de chemin avec le marxisme.

3e message : Le bien d’une personne individuelle l’emporte sur les normes de l’Etat et les principes politiques. Sur ce dernier point, l’argumentation de la FEPS devient surréaliste: la Cène représente aussi les conditions d’une socialité réussie : chacune, chacun y est invité […]. Il n’y a pas de contrôle à l’entrée3. L’Etat, la politique ne disposent pas d’une telle table. Et pourtant, l’Etat et la politique ont aussi besoin que les citoyennes et les citoyens, en dépit de toutes les différences, soient unis dans un esprit commun de reconnaissance réciproque, de traitement égal et de partage. Les droits humains plaident en faveur de cette unité fraternelle.

Sans nous arrêter sur les parallèles rhétoriques audacieux du Conseil de la FEPS, rappelons que l’esprit commun qui anime tant l’Eglise que la Patrie procède de l’appartenance à une communauté. Or, une communauté est fondée, non sur l’expression de droits absolus en faveur de chacun de ses membres, mais sur l’incapacité de l’individu à (sur)vivre seul. Une communauté suppose que chacun de ses membres a des droits mais également des devoirs, dont l’exercice est orienté vers un bien commun. Il est faux d’opposer le bien d’un individu aux principes politiques. Plus une communauté politique sera unie, forte, établie, plus la liberté de chacun de ses membres sera protégée.

Une certaine théorie juridique qui interprète les droits de l’homme comme une arme de chaque individu, en fait de chaque groupe minoritaire, pour affaiblir, voire dissoudre, la communauté politique dans un espace globalisé est dangereuse non seulement pour l’Etat, mais aussi pour le citoyen.

Dans une perspective chrétienne, fondée sur la souveraineté divine sur le monde et la préparation de l’avènement du Royaume de Dieu, les droits de l’homme ne sont qu’un aspect très partiel de la justice et de la morale politique.

Notes:

1  www.kirchenbund.ch/fr

2  Pas une seule fois dans le texte, les mots «Jésus» ou «Christ» ne sont utilisés…

3  Dans un document de 2004, La Cène selon la vision protestante, la FEPS affirme pourtant que l’invitation à la Cène s’adresse aux baptisés exclusivement.

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