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Exil et musique

Frédéric Monnier
La Nation n° 2110 23 novembre 2018

On sait l’écrivain Etienne Barilier fin mélomane et musicographe; des ouvrages comme Alban Berg, essai d’interprétation ou B-A-C-H, Histoire d’un nom dans la musique en témoignent. Au début de cette année, il a publié un livre consacré cette fois au thème de l’exil dans la musique. En fait, ce sujet a été commandé à l’auteur par les organisateurs des fameuses Folles journées de Nantes, festival de musique classique organisé chaque année depuis 1995 entre fin janvier et début février, et dont le thème portrait en 2018 sur les compositeurs qui ont quitté ou dû quitter leur patrie pour souvent ne plus la revoir. Toutefois, et dès le début du livre, Barilier précise qu’il ne se contentera pas d’évoquer ces compositeurs-là, mais aussi ceux qui, «sans avoir jamais été chassés de leur pays, ont écrit d’admirables musiques d’exil». Et de citer le premier vers du premier poème du Winterreise (ce Voyage d’hiver qui est du reste le titre du premier chapitre) de Franz Schubert: Fremd bin ich eingezogen, fremd zieh ich wieder aus (Etranger je suis venu, étranger je m’en vais).

Le sujet est vaste, on s’en doute, et comment l’aborder? La question initiale que se pose Barilier est la suivante: «Ce que nous voulons savoir d’abord et surtout, c’est si l’exil a infléchi leur création, s’il l’a tarie ou stimulée.» Quelques lignes plus loin, il met toutefois en doute la pertinence de son propos en citant les réponses de Schönberg et de Stravinsky à un journaliste du Los Angeles Times qui, en 1950, leur demandait si l’exil les avait changés; tous deux répondent par la négative. Si l’on s’en tient à ces déclarations des «deux plus grands compositeurs bannis du XXe siècle, […] on pourrait mettre un point final à ce livre avant de l’avoir commencé» écrit non sans ironie Barilier. Et d’ajouter qu’on n’est pas obligé de les croire sur parole: à son avis, et quand bien même ils s’en défendent, l’exil a joué dans leur œuvre un rôle fondamental. Lequel? Avouons que, pour ces deux compositeurs, nous sommes resté sur notre faim.

Dans le deuxième chapitre, l’auteur évoque quelques musiciens des XVIIe et XVIIIe siècles (Lully, Haendel, …) dont on ne peut guère affirmer que l’exil ait eu une influence déterminante sur leur art: «Si Lully fut un exilé au sens littéral du terme (privé de son sol natal), il ne le fut donc nullement au sens moderne, affectif et douloureux que nous donnons à ce mot»; ce sont en quelque sorte des musiciens de l’«exil heureux». Passant au XIXe siècle, l’auteur consacre un chapitre fort intéressant à Chopin, premier compositeur qui «vit l’exil comme une souffrance». Mais si cette souffrance habite plusieurs de ses œuvres, «comment prouver que c’est parce que leur auteur se sentait chassé du paradis polonais?» Le jeune Chopin «remuait des pensées de mort avant d’apprendre la chute de Varsovie», ce qui fait dire à Barilier que «sa douleur n’était pas, et ne sera jamais exclusivement celle de l’exilé».

C’est la première moitié du XXe siècle qui constitue l’essentiel du livre de l’auteur; en effet, avec l’avènement des totalitarismes, un nombre impressionnant de compositeurs ont fui leur pays pour échapper tout simplement (si l’on ose écrire ainsi!) à la mort. Mais Barilier, comme nous l’avons écrit plus haut, n’oublie pas d’évoquer aussi ces musiciens qui, pour diverses raisons, sont restés dans leur pays et ont souffert d’un «exil intérieur», pas forcément moins douloureux, et dont Chostakovitch est d’une certaine manière le parangon.

Parvenu à la fin du livre, le lecteur ne peut qu’admirer l’érudition musicale de l’auteur qui ne se contente pas de parler des compositeurs exilés les plus connus (Schönberg, Stravinsky, Rachmaninov,…), mais consacre également plusieurs pages à quelques oubliés de l’histoire de la musique, comme Ernst Toch ou Vsevolod Zaderatski, pour ne citer que ces deux noms.

Au début du dernier chapitre, Barilier revient à la question centrale du livre: y a-t-il une musique de l’exil? Pour lui, la réponse est affirmative. Le problème, c’est qu’il y a une telle variété de styles dans la musique des compositeurs cités qu’il est impossible de parler d’une musique de l’exil. En revanche, et c’est sous cette forme que la question doit se poser (comme l’auteur l’a du reste plus justement formulée au début de l’ouvrage, cf. notre deuxième paragraphe), l’exil a bel et bien infléchi leur création, en la stimulant (Chostakovitch, qui a affirmé que même si on lui coupait les deux mains, il continuerait à composer…), la tarissant (Rachmaninov, qui n’écrira qu’à peine un sixième de son œuvre après avoir quitté la Russie), en la renouvelant (Kurt Weill, changeant complètement de style après son arrivée aux Etats-Unis).

Malgré ces petites réserves, ce livre de plus de deux cents pages au format de poche fourmille de réflexions pertinentes et ne peut manquer d’intéresser les mélomanes.

Référence: Etienne Barilier, Exil et musique. Editions Fayard/Mirare, 2018.

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