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Penser Noël

Cosette Benoit
La Nation n° 2112 21 décembre 2018

Le Noël de chrétienté était
celui de l’espérance.

Aujourd’hui, le Noël de laïcité
est davantage celui de la nostalgie
et de l’harmonie perdue.

F. Walter

 

Il y a deux ans, Alain Cabantous et François Walter publiaient un remarquable ouvrage sur la construction historique progressive de la fête de Noël1. Ce travail, basé sur des sources très diverses, retrace l’origine et le développement des pratiques sociales et culturelles qui ont entouré cet événement sur la très longue durée (environ 2000 ans de christianisme), dans le cadre européen. Nous décrivons ci-dessous quelques éléments marquants de cet ouvrage, qui, nous l’espérons, vous permettront d’appréhender Noël d’une manière plus riche et réfléchie.

Dans les Evangiles, les récits de la Nativité sont très succincts et avares de détails. Face à l’inaccessibilité du mystère de l’incarnation du Dieu fait Homme, on a vu fleurir, surtout à partir du IVe siècle, des références symboliques, des narrations merveilleuses, des représentations iconographiques et des pratiques de dévotion envers les divers acteurs de la Nativité, afin de rendre ce mystère lisible pour le commun des mortels. La première célébration de Noël dont nous ayons connaissance remonte au IVe siècle. Cette fête a alors pour but d’être un repère liturgique pour les fidèles.

C’est le 25 décembre qui sera choisi par l’Eglise pour célébrer la Nativité. Selon les recherches récentes, il apparaît que cette date avait une signification cosmique forte mais ne coïncidait avec aucune célébration païenne. En la choisissant, les Pères de l’Eglise manifestent leur volonté d’affirmer une fête chrétienne entre deux grandes fêtes du calendrier romain (les saturnales et les calendes). C’est une manière de proclamer que la lumière du Christ brille au milieu d’un monde de superstitions.

Depuis le Moyen Âge et jusqu’au XVIIe siècle, le temps de Noël est celui des bouleversements. Le monde est inversé, les hiérarchies sont renversées, les faibles prennent l’ascendant sur les forts. Il en reste une trace aujourd’hui encore avec le choix du roi au moyen d’une fève cachée dans une galette, le jour de l’Epiphanie. Noël est alors souvent le théâtre d’excès et de débordements: opulence, nuit de bal et de débauche, superstitions, croyances maléfiques.

Dans le prolongement de la Réforme et de la Contre-Réforme, les autorités religieuses et civiles essaient de mettre progressivement de l’ordre dans la manière de célébrer Noël, au risque de priver la fête de sa dimension populaire. D’autres formes de célébrations prendront ainsi la place des festivités indésirables. La fête de Noël va alors se développer autour du contexte familial.

La Nativité n’est pas devenue une fête familiale avec l’avènement du monde bourgeois et conservateur. Bien que la célébration collective ait été une des composantes majeures des Noëls d’antan, la dimension familiale de cette fête était présente bien avant le XIXe siècle. Le Noël bourgeois ne constitue pas une rupture mais il s’inscrit dans la continuité de traditions antérieures. C’est dans ce contexte que la fête de famille va évoluer vers une véritable fête de la famille2.

En tant que célébration hautement symbolique qui mobilise toute la population, Noël est un moment de choix à disposition des pouvoirs pour faire passer un message. Dès le IVe siècle, dans le contexte d’institution du christianisme comme religion d’Etat, la fête de Noël s’implante comme une célébration éminemment politique. On veut ainsi célébrer la naissance du Christ-Roi, comme on célèbre l’anniversaire des empereurs. Au Moyen Âge, à travers l’iconographie, on célèbre les mages comme les représentants des autres nations, venus adorer le Christ et rendant ainsi hommage à l’Empereur chrétien. Le temps de Noël est alors propice aux cérémonies diplomatiques et politiques, afin de leur conférer une symbolique chrétienne marquée. Charlemagne et Guillaume le Conquérant seront couronnés le jour de Noël (respectivement en 800 et en 1066). Mais avec la Révolution française et la propagation des idées des Lumières, la fête se laïcise. La Nativité est débarrassée de ses références judéo-chrétiennes pour la rattacher à des origines païennes antérieures au christianisme.

On ne sait pas dater exactement la plupart des éléments qui entourent la célébration de Noël, ce qui n’implique pas pour autant qu’ils remontent à des temps immémoriaux. Ce n’est qu’avec l’apparition des techniques typographiques qui permettent la reproduction et la diffusion d’illustrations à bon marché que les pratiques se répandent et se généralisent. A partir du XXe siècle, on assiste à un métissage des pratiques au moyen de vecteurs puissants tels que l’internationalisation de la publicité dès les années 1930, le cinéma et la diffusion de chansons de Noël. C’est notamment la publicité pour Coca-Cola qui a diffusé l’image du Père Noël telle que nous la connaissons aujourd’hui, mais son origine, en tant que substitut à Saint-Nicolas, est bien plus lointaine.

La célébration de la naissance du Christ fut souvent la cible de diverses condamnations. La Réforme a cherché à bannir le calendrier liturgique et toutes formes de superstitions, prônant que chaque jour de l’année était saint et devait être honoré à la gloire de Dieu. Certaines régions réformées tentèrent donc d’éradiquer Noël, sans grand succès. Les révolutions balayèrent systématiquement la Nativité, dans la perspective d’imposer un nouvel ordre du temps et surtout d’éradiquer toute référence chrétienne. Dans un tel contexte, célébrer Noël devenait un acte de résistance.

Le temps de Noël est aussi propice aux protestations sociales: les casseurs s’en prennent à la société de consommation qui les a laissés sur le carreau, on assiste à des révoltes dans les pénitenciers, et les ennemis du consumérisme et de l’impérialisme américain se manifestent vigoureusement à cette occasion (la propagande communiste et les mouvements étudiants des années 1960 en sont des exemples caractéristiques).

A notre époque, il subsiste des remises en causes radicales, notamment contre l’hyperconsommation, mais aussi en réaction à la dimension familiale et chrétienne de cette célébration. En 2013, par exemple, une Femen (groupe féministe radical) profane l’Eglise de la Madeleine à Paris en «avortant» Jésus devant l’autel et en criant «Noël est annulé». On peut aussi mentionner les polémiques que suscitent chaque année les crèches dans l’espace public.

Avec le déclin du référentiel religieux, les valeurs laïques de la famille, de la joie et de la paix se sont imposées. La célébration de Noël est devenue un vecteur de pratiques familiales aux composantes nostalgiques et émotionnelles, sans référence religieuse. Progressivement, dans cet espace vacant, Noël s’installe comme une fête commerciale avec l’avènement de la société de consommation dans les années d’après-guerre. Le moment-clé de la fête est désormais la distribution des cadeaux. L’échange de cadeaux, comme renforcement des liens familiaux et des relations sociales (notamment envers les enfants et les domestiques) a précédé le consumérisme du XXe siècle. C’était déjà une pratique courante dans l’Empire romain avec les étrennes. Mais ce qui change avec le tournant de l’après-guerre, c’est que les cadeaux deviennent un élément indispensable de la fête. Ainsi, certaines familles consentent à des sacrifices financiers inconsidérés pour répondre à cette obligation sociale.

Dépourvu de sa signification chrétienne, Noël pouvait désormais s’exporter à toute la planète comme célébration de la famille, des enfants, de la paix et de l’opulence.

En tant que puissant révélateur culturel et social, Noël nous a permis de revenir, certes de manière un peu schématique, sur quelques moments clés de l’histoire occidentale. Véhiculant des enjeux religieux, sociaux, collectifs et familiaux, Noël est une fête explosive. A l’ère de la post-modernité et de l’éclatement de la famille, la Nativité est devenue une fête contradictoire qui dérange et illustre souvent le délitement des liens sociaux et familiaux, l’absence de référents traditionnels et religieux. La confusion qui s’impose à l’approche de chaque Noël – où il semble y avoir autant de manières de célébrer l’événement que d’individus en Occident – est symptomatique de notre époque. Les adeptes du politiquement correct vont jusqu’à banaliser l’événement en souhaitant désormais de «bonnes fêtes de fin d’année».

Il est du devoir de tout chrétien de redonner à Noël son sens pour en faire une occasion de proclamer l’espérance évangélique. Car cette espérance transcende les époques et les pratiques culturelles et sociales. Elle est le fondement même de la fête de la Nativité et l’accomplissement de l’oeuvre de Rédemption qui aboutira à la Croix et à la Résurrection. Renonçant à la tentation de jeter le bébé avec l’eau du bain, nous concluons avec Jean Calvin: «C’est une chose bonne que nous ayons ung jour en l’an auquel on nous monstre le proffit qui nous revient de ce que Jésus-Christ est né au monde et que l’histoire de sa nativité soit récitée»3.

Notes:

1  Cabantous Alain, Walter François, Noël, une si longue histoire…, Paris: Payot & Rivages, 2016, 398 pages.

2  Ibid., p. 228.

3  Cité par Meylan Henri, «Fêter Noël ou pas? Une controverse dans l’Eglise neuchâteloise du XVIe siècle», Revue d’histoire et de philosophie religieuses, 1974, n° 1, p. 50.

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