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Le destin des nations

David Rouzeau
La Nation n° 2113 4 janvier 2019

Eric Zemmour dresse dans son dernier essai, Destin français, une grande fresque historique de la France. Il présente une analyse et une interprétation de la destinée de ce peuple qui concernent aussi, plus généralement, l’Europe et l’Occident. Il s’agira ici de présenter des points essentiels de la pensée de Zemmour pour parfois les affiner ou les prolonger.

Situation de la France

Au niveau historique et géopolitique fondamental, Zemmour considère que la France se devait d’avoir une démographie importante et de dominer l’Europe continentale ainsi que le monde. La mondialisation aurait pu être française. Cela a été le cas sous Louis XIV et jusqu’à la défaite de Waterloo en 1815. Mais déjà les échecs de Louis XV ont commencé à faire perdre à la France son rôle de puissance mondiale au profit de la Grande-Bretagne. La France est désormais, de manière irrémédiable, une puissance moyenne, ce qui ne doit en rien l’empêcher de rayonner, de prospérer et de jouer le rôle le plus important possible dans le concert des nations.

Il n’est ainsi plus question d’agrandir son territoire. Elle ne va pas annexer la Belgique, ni la Suisse romande, ni le Piémont. Elle a en quelque sorte touché des frontières relativement naturelles, les mers et l’océan qui la bordent, le Rhin, et des chaînes de montagnes comme le Jura, les Alpes ou les Pyrénées. Cette géographie double sa forme politique et l’incarne.

Identité française

Par ailleurs, la définition que donne Zemmour de l’identité française paraît parfois trop être celle de ses adversaires. Elle serait une nation de volonté constituée d’un agrégat de peuples divers. Soit, le peuple français est le produit d’une longue histoire, mêlant une multitude de peuples celtes, certainement assez hétérogènes – mais n’étaient-ils pas précisément tous celtes? –, romanisés puis envahis par des Francs germaniques qui s’assimileront à ces Gallo-Romains; cependant il n’en reste pas moins qu’il y a une identité culturelle et politique française profonde qui est marquée, comme il le souligne lui-même, par la religion catholique, par un Etat commun élaboré par les rois puis par les républiques, et aussi par une langue ainsi qu’une culture qui sont proprement françaises. Il y a de la sorte un patrimoine culturel, notamment intellectuel et littéraire, tout à fait caractéristique. Cette identité nationale a été de plus solidifiée par une très longue histoire commune, vécue longtemps comme un «roman» national. Cette identité est également charnelle, elle renvoie à des mœurs spécifiques. Les modernistes – adhérant à une religion de la différence et de la déconstruction – ont beau jeu d’insister, depuis les années septante, sur les différences, sur tout ce qui sépare, on pourra toujours aisément identifier une identité culturelle commune à la France, laquelle constitue le sentiment d’appartenance à ce pays, le fait d’être Français, ce que l’on peut appeler une identité nationale ou, en termes plus profonds et mystérieux, son âme. Un peuple, à l’instar d’un homme, a une âme, qui est sa réalité la plus profonde. Sans tomber dans un essentialisme qui figerait tout, on peut, dès lors que l’on est de bonne volonté, caractériser une culture, des mœurs, en l’occurrence une identité française, présentant à l’évidence toute une série de variantes parmi sa population, jusqu’aux individus qui la nient ou la renient.

Il en va de même pour tous les peuples. Chacun a une identité, évoluant très lentement, qui fait la saveur de cette appartenance pour celui qui la possède ou pour tel autre qui la rencontre. C’est cette conception identitaire qui est contestée depuis une cinquantaine d’années par la gauche et le libéralisme capitaliste, unis dans leur nihiliste et funeste alliance libéralo-libertaire mondialiste. Zemmour adhère à cette analyse, heureusement de plus en plus mise en avant à notre époque. Comme l’ont dit beaucoup d’intellectuels tout à fait respectables, l’homme a besoin de racines qui définissent une identité nationale (Weil, Levet, Finkielkraut, etc.1). Ces racines lui permettent d’être ouvert sur les autres. Et, à un autre niveau, la cohésion sociale n’est possible que dans un cadre national. Zemmour le dit très bien: «Notre époque […] ne veut pas voir non plus qu’il ne peut y avoir de social sans national. Qu’il n’y a pas de solidarité des riches envers les pauvres s’il n’y a pas de sentiment commun d’appartenance, soudé par l’Histoire, les mœurs, les traditions» (p. 298). Cette dernière phrase est peut-être la plus importante du livre. Elle explique pourquoi la notion de nation est indépassable, centrale et qu’il faut travailler à partir de cette réalité positive. Il poursuit en donnant un exemple: «Les Américains n’ont pas instauré la sécurité sociale, à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, contrairement aux Britanniques et aux Européens, parce que les Blancs refusaient de payer pour les Noirs. Ils ne se sentaient pas appartenir à la même nation. Aujourd’hui, les ouvriers et les chômeurs français sont farouchement hostiles à toute forme d’“ assistanat ”, dont abusent selon eux certains immigrés et leurs enfants». Un autre argument pour la nation provient du fait que la démocratie paraisse ne pouvoir s’exercer pleinement que dans le cadre d’un peuple de concitoyens qui partagent une même culture.

Nation, civilisation, démocratie, souveraineté, multipolarité

La conception politique défendue par Zemmour est universelle, qualité qui est ici positive, car elle vaut pour tous les autres peuples. La notion de peuple ou de nation est nécessaire à la constitution d’une société humaine civilisée et démocratique. En outre, si ces derniers veulent vivre de manière positive et prospérer, ils doivent pouvoir affirmer leurs choix et donc être souverains.

Par ailleurs, il est souhaitable que le monde soit multipolaire et que tous les Etats se respectent et collaborent positivement. Voici le principe fondamental qui devrait organiser le droit international. Il faut donc entraver la violence de ceux qui veulent dominer les autres. Mais il faut que chaque peuple puisse décider, dans le respect des autres, de son destin.

Vertus du protectionnisme

On voit bien que les tentatives mondialistes de déposséder les peuples de leur souveraineté, comme le fait avec violence et arrogance l’Union européenne, mais aussi d’autres instances supranationales, sont actives et il faut s’y opposer. Les nations ont par exemple le droit de protéger en partie leur économie. Il est absurde d’imposer un libre-échangisme qui amène de la récession économique. Zemmour donne plusieurs exemples de ce phénomène, notamment tu par les économistes ultra-libéraux, vraisemblablement aux ordres de l’oligarchie financière (cf. le très intéressant chapitre Rien à déclarer, consacré à la question du protectionnisme). Pour List, un économiste ayant défendu une conception protectionniste pour des citoyens enracinés, «l’individu vient au monde par la nation» (p. 434). A tous les niveaux politiques, la souveraineté paraît ainsi souhaitable. Avec un possible éclatement de l’euro, on verra aussi la nécessité d’avoir une souveraineté monétaire, seule capable d’être adaptée à la force d’un pays et de maintenir son industrie ainsi que son agriculture.

Nécessaire assimilation

Il découle aussi de cette conception souverainiste que seul le modèle de l’assimilation fonctionne, que le multiculturalisme ou le communautarisme sont néfastes, puisque précisément une nation a une identité propre qui ne l’empêche pas d’évoluer lentement, et qui n’interdit pas non plus – fort heureusement – à ses membres d’être libres dans ce cadre. La phrase de Mitterrand «le nationalisme, c’est la guerre» était d’une confusion et d’une bêtise terribles. Et Macron, dans ses discours manipulatoires et sa pensée confuse, reprend cette stupide antienne. C’est l’«ultra-nationalisme» qui est la guerre, quand les nations deviennent belliqueuses. Car les nations sont au contraire, en elles-mêmes, plutôt des gages de paix, d’identité heureuse et d’épanouissement pour les hommes; mais encore faut-il en effet qu’elles puissent collaborer positivement les unes avec les autres sans violence, ni domination. C’est tout l’enjeu du projet politique des souverainistes.

Le pouvoir judiciaire reste à sa place

Enfin, un dernier sujet passionnant et ô combien actuel est l’analyse de ce qui est appelé «l’Etat de droit», en d’autres termes le rôle joué de nos jours par des interprétations extensives et non-démocratiques des Droits de l’homme. Il montre comment un pouvoir des juges est venu soumettre le pouvoir légitime. Selon Zemmour, dans un régime démocratique sain, le pouvoir judiciaire ne devrait être que la «bouche de la loi» (p. 261). La justice doit se contenter d’appliquer les lois décidées par le peuple et le parlement. Le pouvoir juridique n’a aucune compétence législative et doit respecter la séparation des pouvoirs. Le législateur fait la loi, le juge l’applique. C’est une tendance des Cours suprêmes américaine et allemande, suite au traumatisme qu’a été l’accession de Hitler au pouvoir en conformité avec les règles institutionnelles de la République de Weimar, que de vouloir ajouter au-dessus du jeu démocratique un pouvoir des juges. Les Etats ne pourraient donc plus traiter de manière souveraine des sujets comme l’immigration, puisqu’un pouvoir supranational serait en mesure de leur imposer l’obligation d’accueillir tels migrants à telles conditions, de leur donner par exemple le droit de vote immédiatement comme le défendent certains idéologues de gauche radicale. Cette jurisprudence extensive de certains principes de droit revient à exercer en fait, par la bande, un pouvoir politique décisionnel, hors du contrôle du vrai souverain qu’est le peuple. Cela n’empêche pas d’établir des collaborations internationales au gré des besoins et des enjeux et de signer des traités; mais ceux-ci ne doivent pas être les lois d’un Etat mondial, et in fine assez logiquement oligarchique et ploutocratique.

Notes:

Référence: Eric Zemmour, Destin français, Albin Michel, 2018.

1  Cf. notre article sur la conception de la philosophe française Bérénice Levet, «Le crépuscule des idoles progressistes», La Nation, n° 2076, 4 août 2017.

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