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Occident express 21

David Laufer
La Nation n° 2113 4 janvier 2019

Depuis maintenant plusieurs années, l’une des plus belles villas de notre quartier est vide. Elle a été désertée par le Parti Démocratique (aujourd’hui lui-même déserté) qui en avait fait son siège. Le nouveau propriétaire est un modeste citoyen américain, serbe d’origine, qui ne parle pas un mot de la langue de ses ancêtres. Mais il peine à sceller la restitution par l’Etat de ce qui fut, il y a plus de sept décennies, l’adresse d’un lointain parent. Cette situation n’a rien d’exceptionnel, hélas. En Serbie et dans les pays de la région, suite à leur nationalisation forcée dès 1945, une quantité incalculable de propriétés sont désormais en voie de restitution. La Serbie est elle-même héritière de la Yougoslavie, un Etat reconnu par l’ONU et dont les lois, pour un grand nombre d’entre elles en tout cas, ont été reprises in extenso. Or ces nationalisations, aussi moralement condamnables qu’elles aient été, furent bien sanctionnées par cet Etat légitime. Elles ont pourtant été déclarées rétroactivement illégales, ouvrant la voie aux restitutions en cours. Et voilà que des quatre coins de la Terre se précipitent des héritiers pour récupérer des immeubles qu’ils n’ont jamais achetés ou même vus, où ils n’ont jamais vécu, dans un pays dont ils ignorent souvent presque tout. En lisant la presse, on les entend user avec libéralité de tout un lexique moral et grandiose. La civilisation elle-même serait en jeu si cette villa ou ce terrain ne leur étaient pas immédiatement restitués – la valeur financière de ces biens ne jouant évidemment aucun rôle dans cette croisade. Comme si l’Histoire devait s’appliquer à tout le monde, même à leurs aïeux, mais pas à eux. Et c’est ainsi, sans qu’on l’ait tout à fait voulu, que l’on finit par créer une opposition aliénante entre biens publics et privés. D’un côté on fragilise la continuité de l’Etat en relativisant la perpétuation de son ordre juridique; et de l’autre on isole la propriété privée du cours de l’histoire en prétendant, à tort, qu’une continuité a toujours existé. Dans cette marche forcée vers la modernité, que la Suisse a eu le loisir de parcourir à son rythme et que la Serbie subit, des choix ont été faits qui arrangent quelques-uns, mais qui causent un tort irréparable et difficilement visible à la plupart. 

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