Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Occident express 23

David Laufer
La Nation n° 2115 1er février 2019

Son vernissage à ma galerie d’art belgradoise était prévu de longue date, lorsque l’artiste m’a appelé pour me dire qu’il annulait tout. On lui proposait un peu plus d’argent ailleurs. Tout en m’assurant, avec une sincérité crédible, qu’il aurait préféré travailler avec moi, il fonçait tête baissée sur ce demi-millier d’euros qu’un concurrent indélicat agitait comme une muleta. Cet artiste n’est hélas pas une exception et j’ai fait ici cette cruelle expérience plus d’une fois, sous des formes diverses. Le saut logique peut sembler excessif, mais je repère dans ce comportement les conséquences d’une guerre civile. Une guerre civile fait éclater des divisions parfois souterraines au grand jour. Elle les creuse et les ronge comme de l’acide. De conjoncturelles, elle rend petit à petit ces divisions structurelles. On peut facilement reconstruire des villes et des ponts. Mais le temps qui est nécessaire à une société pour cicatriser se compte en siècles durant lesquels le malade n’est nullement immobilisé. Le démembrement de la Yougoslavie a résulté en un démembrement de la société elle-même. La population a vu s’effondrer dans les flammes et dans le sang son univers, qu’elle pensait inébranlable. Le réflexe est, naturellement, de ne plus croire en quoi que ce soit et de se réfugier dans une méfiance qui se prétend intelligente. Le long terme, la confiance mutuelle, la loyauté deviennent alors autant de notions creuses dont l’absence a pour premier effet de renforcer la certitude de leur inutilité. Les vertus darwiniennes deviennent alors leur contraire. Ce qui perpétue la frustration des électeurs, la grogne des employés, la brutalité des patrons, les petites haines entre voisins et la tristesse des gens de bonne volonté. Sur fond de retard économique et de marasme politique, ces travers prennent vite des proportions tragiques. Ce qui devrait rappeler à chaque Suisse que notre société est elle aussi divisée en son milieu depuis cinq siècles. Et que ces divisions, aiguisées par les diversités culturelles, n’attendent jamais que l’affaiblissement de l’Etat pour ressurgir et que seule la conscience de ces divisions peut les en empêcher.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: