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L’autre mitage des compétences cantonales

Olivier Klunge
La Nation n° 2115 1er février 2019

L’aménagement du territoire est une préoccupation importante, non seulement des lobbies écologistes avec l’initiative contre le mitage ou d’autres à venir1, mais aussi de l’Office fédéral du développement territorial (ARE). Alors que le peuple suisse n’avait pas même encore voté sur la première grande révision de la Loi fédérale sur l’aménagement du territoire (LAT) en mars 2013, il concoctait depuis juin 2012 une seconde révision.

Les cantons et la plupart des milieux concernés ont refusé en mai 2015 un premier projet, en priant l’administration fédérale de leur laisser le temps de digérer le séisme de la première révision avant d’ouvrir un nouveau chantier.

Comme le territoire n’attend pas et qu’il faut occuper les 90 fonctionnaires de l’ARE, un nouveau projet a été mis sur pied dès décembre 2015. Après une consultation en 2017 (également largement défavorable), la nouvelle mouture a été présentée par le Conseil fédéral au parlement en décembre 20182.

Le Message du Conseil fédéral accompagnant cette deuxième révision insiste beaucoup sur le fait qu’elle se concentre sur «quelques thèmes centraux dont le besoin de révision est avéré»: construction hors zone à bâtir, aménagement en sous-sol et espaces fonctionnels. Le Message insiste aussi beaucoup sur «la plus grande marge de manœuvre aux cantons» que le projet laisserait.

Malheureusement, la lecture du projet lui-même commence par un nouvel alinéa 1bis de l’article 2 renforçant les obligations de collaboration entre la Confédération, les cantons et les communes. Cet article programmatique vise à imposer dans tous les domaines de l’aménagement du territoire des espaces fonctionnels supra-cantonaux et donc la mainmise de la Confédération, alors qu’elle devrait se contenter de fixer les principes applicables à l’aménagement du territoire.

Quant aux constructions hors zone à bâtir déjà régies de manière rigide par la législation fédérale, on commence par restreindre plus encore les possibilités de construire et de transformer, introduisant même la notion d’autorisation de construire provisoire, impliquant une obligation de démolir dès que l’usage autorisé n’est plus maintenu. Après ce nouveau tour de vis fédéral, on donne aimablement le droit aux cantons d’inventer des restrictions supplémentaires ou de ne pas décerner d’autorisation hors zone à bâtir du tout.

Enfin dans un élan de magnanimité, la Confédération autorise les cantons à prévoir des «zones spéciales hors zone à bâtir» dans lesquelles une utilisation non agricole de constructions pourrait être envisagée. Mais attention, pour cela, il faudra établir un plan directeur cantonal spécifique décrivant en détail les motivations, conséquences et implications d’une telle zone. Surtout, il s’agira de prévoir des mesures de compensation et d’améliorations contraignantes et pérennes, soit détruire des bâtiments dans une proportion équivalente.

Cette nouvelle mouture de deuxième révision de la LAT, certes moins ambitieuse que le premier projet, n’en constitue pas pour autant une amélioration. Les cantons, communes et particuliers prennent, aujourd’hui encore, à peine la mesure des implications abyssales de la première révision de la LAT entrée en vigueur en 2014. Ses effets commencent juste à se faire sentir.

Un temps d’arrêt dans les réformes est nécessaire afin d’en évaluer les conséquences réelles sur le terrain.

Surtout, le projet du Conseil fédéral renforce la détestable tendance de l’administration fédérale à réduire le rôle des cantons à celui d’exécutants. Le fédéralisme d’exécution signifie que la Confédération édicte des lois générales tatillonnes et laisse aux cantons le soin de devoir les imposer aux citoyens dans les cas concrets.

En matière d’aménagement du territoire particulièrement, chaque canton, chaque région a sa typologie géologique, mais aussi historique et architecturale, et des besoins différents. Chaque terrain étant unique, il n’existe à peu près aucune opportunité d’optimisation par unification. La Confédération doit donc se limiter à fixer certains principes fondamentaux et à régler les questions de réseaux suprarégionaux (autoroutes et lignes ferroviaires principales, réseau électrique, approvisionnement). Chaque canton doit avoir une réelle marge de manœuvre afin de développer une vision créatrice, innovatrice de son territoire sur la base de ses besoins réels et concrets.

Le projet de deuxième révision de la LAT doit être refusé vigoureusement par l’Assemblée fédérale et l’administration doit effectuer une évaluation honnête et complète de la révision déjà entrée en vigueur, voire des multiples initiatives soumises au peuple et cantons, avant tout nouveau projet.

Notes:

1    24 heures, 07.01.19, p. 13.

2    FF 2018 7423 ss.

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