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Labyrinthe inextricable?

Jacques Perrin
La Nation n° 2117 1er mars 2019

En matière de démographie, nous avons accablé nos lecteurs de chiffres et d’informations glanées dans divers médias. Ce qui concerne le passé et le présent est difficile à contester. Les prévisions sont, elles, beaucoup plus floues et sujettes à caution. On nous a dit que le Canton compterait 1 million d’habitants en 2030, puis l’échéance a été repoussée à 2040. Que prévoyaient les démographes en juillet 1914 ou en août 1939? On nous annonce que la population mondiale devrait augmenter encore, puis se stabiliser et décliner après 2100, mais rien n’est sûr.

Les questions démographiques ne peuvent être envisagées isolément. Elles sont liées aux soucis écologiques, migratoires et religieux, dans un climat d’angoisse et de prophéties apocalyptiques. La déchristianisation fait que les sociétés occidentales ne disposent d’aucune armature morale et sont ouvertes à toutes les utopies mortifères. L’école élémentaire se demande ce qu’il faut enseigner, n’aspirant qu’à se lancer dans le «numérique»; on devine que l’école 4.0 jettera par-dessus bord celle de grand-papa pour former des élèves «créatifs», «flexibles», experts en «communication», férus d’interdisciplinarité (sans qu’ils aient approfondi au préalable une quelconque discipline), amoureux du travail en équipes métissées, antisexistes, antispécistes et adeptes du développement durable. Cela suffit-il à donner confiance en l’avenir?

Nos contemporains sont écartelés entre deux aspirations légitimes. D’une part, la croissance leur semble signe de vitalité: qui ne souhaite se développer, se renforcer, s’enrichir et bien vivre au sein d’une famille nombreuse et solide? D’autre part, toute croissance exponentielle fait peur et chacun sent qu’il faut se préparer à un revers de fortune. La prolifération de cellules signale le cancer. On étouffe au milieu des objets techniques toujours nouveaux, des biens de consommation, des déchets et des voitures. Des voisins «différents» ne partageant pas les mœurs en vigueur font soudain irruption. L’agitation des multitudes urbaines croît. Il en résulte un désir le plus souvent inconscient de frugalité et d’autolimitation afin de conserver un certain bien-être.

Les statistiques démontrent que l’abondance et la croissance démographiques ne vont pas de pair. En termes vulgaires, on ne peut avoir le beurre et l’argent du beurre. Les peuples du Nord ont en quelque sorte «choisi» de se priver de descendance. C’est le prix à payer du bien-être. Le plaisir individuel est le but ultime. Après l’individu le déluge! Le travail, valeur suprême, apporte la richesse. Les femmes se sont «libérées» et aspirent toutes à travailler. Hommes et femmes sacrifient tout à leur «boîte». Il existe encore des couples, mais ceux-ci font moins d’enfants, car les enfants perturbent les carrières et troublent la jouissance des biens acquis. La concurrence au sein des couples détruit les familles. Il faut construire toujours plus de petits logements pour abriter les individus séparés les uns des autres. Un artiste alternatif genevois, vivant de l’assistance publique et se contentant de peu par amour de l’art, déclare sur la RTS: «Je ne suis pas consumériste, je n’ai pas de voiture, je n’ai pas d’enfant …». Bel effort d’abstinence, mais maladresse verbale ou lapsus associant objet de consommation et être humain …

Le vieillissement des peuples du Nord exige que les pauvres du Sud viennent secourir ceux-ci pour payer retraites et rentes et s’occuper des indigènes dans les établissements gériatriques. Il faut «qu’ils croissent et que nous diminuions». Ce sacrifice ne semble affecter presque personne. La culpabilité qu’éprouvent Européens et Américains du Nord pour avoir partiellement anéanti ou exploité les civilisations conquises s’accentue jusqu’à la caricature. Certains écologistes pensent que les peuples du Nord ont fait leur temps: qu’ils cessent de se reproduire!

Le bien-être et le bien commun semblent s’exclure. La mobilité est requise. Les migrants remplacent les manants. Les paysans disparaissent, les pays s’effaceront aussi. A quoi bon se soucier du bien commun s’il n’y a plus de pays à aimer?

Situation inextricable? Nous n’en savons rien. Les politiques natalistes, qu’elles veuillent augmenter ou diminuer une population donnée, ne remportent aucun succès durable. Parfois elles provoquent des effets contraires à ceux qu’elles désiraient, désorientant les peuples. Les bureaucraties semblent inefficaces en matière de démographie.

Il faut parfois admettre l’impuissance humaine et placer sa confiance dans des forces plus hautes: la Providence pour les uns, la nature pour les autres, ou les deux à la fois. La démographie obéit-elle à des variations qui nous échappent? Peut-être le nombre d’humains s’adapte-t-il de lui-même aux limites de la Terre nourricière. Un équilibre se créerait-il à notre insu?

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