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Double vie

David Rouzeau
La Nation n° 2118 15 mars 2019

«Double vie», série télévisée tournée en Lavaux, finit plutôt de manière positive, comme si elle devait se racheter des nombreux égarements additionnés tout au long de son histoire. Il est toujours intéressant d’analyser des objets symboliques propres à une société et à une époque afin d’en comprendre les caractéristiques fondamentales. Cette série est romande. Les acteurs sont tous romands, la RTS, et donc notre argent, la produit. En outre, elle se déroule dans les magnifiques paysages de notre Lavaux. Elle est donc presque vaudoise. Nous verrons qu’elle est surtout profondément nihiliste et ressortit, comme à l’accoutumée, au microcosme de la culture moderniste.

Tout d’abord, au niveau de l’image, on ne peut qu’être étonné par son incapacité à montrer la beauté des choses, la beauté pourtant évidente et solaire du paysage lémanique, si facile à capter pour l’oeil. Le grain de l’image est terne, flouté, comme marqué par une poussière de sable partout en suspension. On s’interroge déjà sur le plan de la forme. Le cinéma, se prétendant être un art, ne désire-t-il pas exprimer la beauté des choses ou le monde tel qu’il est, même si c’est pour l’interroger aussi, et surtout l’approfondir? On verra que, comme très souvent, le fond est à l’image de la forme et réciproquement.

Ensuite, si l’on en vient au contenu, on ne peut qu’être effaré par la vision catastrophique des relations humaines que l’on trouve dans cette narration. Le règne de la division domine, celui du Diable penseront certains, puisque c’est le propre étymologique du diable que de diviser (diabolos «diviser, séparer»). La plupart des individus sont perdus, incapables d’être loyaux de manière tant soit peu stable. L’architecte avait deux femmes et deux familles, la double vie commence à l’évidence là. Le fils aîné est souvent un salaud avec sa mère, mais l’adolescence doit certainement tout autoriser selon la douteuse éthique des scénaristes. La mère est perdue, passe d’un amant à un autre. Le frère, dans une sorte de quasi inceste – car il faut bien s’exciter en frôlant les rares tabous sociaux encore en place –, couche et fait un enfant avec sa belle-sœur, veuve de seulement quelques jours. Nina, au superficiel métier de rédactrice d’un magazine féminin, erre dans la vie, et n’est en fait qu’une sorte de double de son père qui, lui, a un réel Alzheimer. Ce père malade, devenant dément, est en quelque sorte la métaphore involontaire de l’anthropologie défendue par cette série.

Notons que presque tous les métiers des protagonistes concernent l’image et le spectacle: architecte pour le défunt père, rédacteur de magazine pour Nina, réalisateur pour le frère, potentiel photographe pour le fils. Ce n’est pas la mère psychologue qui va beaucoup changer le tableau. Il n’y a que le grand-père qui est plus ancré dans le réel, avec sa profession de vigneron, mais ce personnage est présenté de manière négative, méprisant et dominateur qu’il est. Appert le côté très désincarné et nombriliste d’une série qui condense les fantasmes et les idéaux d’un groupe social particulier.

En substance, on a dans cette série la sempiternelle conception moderniste de la vie, avec des personnages tous plus «paumés» les uns que les autres. Mais le tout est lié par diverses sauces douceâtres qui essayent, en vain, de racheter le démembrement de ces existences.

La série se complaît ainsi dans les errements, dans les complications humaines, relationnelles et affectives, car sinon ce ne serait pas assez palpitant, ce serait trop prévisible, n’est-ce pas? On a affaire à des «créations» qui ne sont en rien des œuvres, qui sont des divertissements de «paumés» modernistes. Elles disparaîtront aussi rapidement qu’elles furent créées.

Il nous semble que l’homme a surtout besoin d’œuvres profondes, aptes à l’aider à construire sa vie. On ne peut que déplorer qu’on inflige à nos contemporains des fictions à ce point vides, nihilistes, ne construisant rien de solide ni de sain. Il est d’autant plus affligeant que le service public suisse soutienne ce genre d’égarements stériles.

Référence:

La série «Double vie», contenant six épisodes, a été diffusée sur la RTS entre le 10 et le 24 janvier 2019.

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