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Besoin de chefs

Jacques Perrin
La Nation n° 2118 15 mars 2019

Lorsque des attentats endeuillèrent la France en 2015 et 2016, les réunions de crise entrevues à la télévision suscitaient des impressions mêlées: les politiciens Hollande ou Valls n’inspiraient pas confiance, tandis que chefs militaires, gendarmes ou officiers des forces spéciales semblaient à la hauteur des événements.

En démocratie, le peuple (ou ses représentants) élit l’exécutif. Des machines électorales, les partis, se mettent en branle pour soutenir leurs candidats, lesquels vendent des programmes bourrés de promesses qu’une fois élus, ils tenteront assez mollement de réaliser.

Le peuple élit-il vraiment des chefs? Le régime démocratique permet-il à ceux-ci d’éclore? Qu’est-ce qu’un chef? C’est à ces questions que répond François Bert dans un petit livre paru en 2017, Le temps des chefs est venu.

François Bert compte parmi ses ancêtres le généralissime vendéen Jacques Cathelineau (1759-1793). Diplômé de Saint-Cyr, il est durant cinq ans officier à la Légion étrangère, incorporé à la compagnie de montagne du 2e Régiment étranger de parachutistes. Ensuite, juste avant la crise financière de 2008, il gère des portefeuilles, puis se spécialise dans la formation d’équipes de direction. Il attache beaucoup d’importance au caractère des postulants, de façon à ce que les entreprises tirent parti de personnalités complémentaires. Dans son livre, il applique ses analyses au monde politique français.

Bert distingue trois types de profils qu’il nomme prophètes, prêtres et rois. Nous en possédons tous certains traits, avec une dominante dont il s’agit d’être conscient avant de choisir une profession ou d’accéder à un état-major de direction. Nous avons des atouts que nous pouvons développer, mais le fond de la personnalité est donné.

Les prophètes désignent les personnalités visionnaires, capables d’élaborer un plan, de produire des œuvres artistiques ou intellectuelles, aimant à connaître pour connaître et visant la perfection jusque dans les détails. Personnes plutôt cérébrales, les prophètes sont souvent à l’aise parmi les conseillers de l’ombre. Bert range dans cette catégorie Valéry Giscard d’Estaing, Philippe de Villiers, Dominique de Villepin, Alain Juppé, Jacques Attali, Patrick Buisson, Eric Zemmour.

Les prêtres vivent par et pour autrui. Ils misent sur les relations humaines, aiment être aimés, détestent la solitude, cherchent à entraîner leur équipe après eux sans toujours savoir où. Ils sont souvent «clivants». On est pour eux ou contre eux, sans nuances. Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron appartiennent à cette classe.

Les rois sont les chefs naturels. Plutôt introvertis, taiseux, concentrés sur leur mission, ils écoutent leurs équipes, observent leurs ennemis et analysent le contexte. Leur rôle consiste à prendre des décisions et à faire face à l’imprévu. Leur qualité principale est le discernement. Ils n’accumulent des connaissances ou n’établissent des relations que si celles-ci sont utiles à la réussite de la mission. Ils agissent dans la durée. Si un chef vient à disparaître, la mission peut encore être remplie parce qu’il a pris soin de former un remplaçant, de donner l’impulsion et d’indiquer la direction à son équipe. Les vrais chefs ne sont pas obsédés par la perfection et produisent des décisions exécutables. La victoire leur importe plus que le consensus au sein du groupe.

Aux yeux de Bert, Henri IV, Louis XIV et Napoléon furent des chefs. Il cite volontiers ces mots du Roi-Soleil, qui lui semblent définir au mieux le discernement opérationnel dont un bon chef est pourvu: Gouverner, c’est laisser agir la facilité du bon sens. Le général de Gaulle fut plutôt un visionnaire qu’un chef. Bert reconnaît que la France lui doit beaucoup, mais il ne tient pas en haute estime ses capacités de chef militaire et politique. Lors de la Première Guerre mondiale, de Gaulle fut fait prisonnier; en 1940 sa division cuirassée ne mena aucune action décisive. En tant qu’homme politique, il tenait certes à l’indépendance de la France, mais quand les événements contrariaient sa vision, il perdait le fil, comme durant la crise algérienne ou en mai 1968; en 1969, il organise un référendum (perdu) pour remettre d’aplomb son ego, alors qu’il avait gagné les élections législatives l’année précédente. Selon ses critères, Bert ne distingue que deux chefs parmi les présidents successifs, Georges Pompidou et surtout François Mitterrand. Véritable homme de droite gouvernant à gauche, détesté mais respecté, fidèle en amitié, Mitterrand pensait que la France avait encore un rôle à jouer.

Ni Chirac, ni Sarkozy, ni Hollande ne furent des chefs; ils vendaient des programmes composés par d’autres, l’emprise des présidents sur le destin de la France s’étant amenuisée à cause du poids de l’Union européenne.

Macron est du même tonneau; il veut être aimé avant tout; il confond la formation d’un consensus bourgeois avec l’art de gouverner; il sait «faire le show», très à l’aise dans le rôle de candidat, maîtrisant l’art du débat.

Sarkozy et Le Pen auraient pu au mieux aspirer au rang de chef de bande. Le chef de bande dépend affectivement de ses subordonnés et ne sait les orienter vers un but.

A cause des élections toujours plus rapprochées et du désir de tout politicien d’être réélu, la démocratie exhibe des candidats perpétuels, mais ne produit des chefs que par hasard, quand il est déjà presque trop tard. Le bien commun exige une action dans la durée. Le chef disposant du discernement opérationnel écoute le contexte pour déterminer quel événement est vraiment grave. Il ne se disperse pas et sait s’entourer de spécialistes de l’intendance, laquelle ne suit pas forcément comme le croyait de Gaulle. Napoléon lui-même a besoin d’un Berthier. Au combat, l’officier ne soigne ni ne console les blessés, sinon il cesse de conduire l’action. Un président n’a pas à être présent ou s’exprimer sur le lieu d’une catastrophe si elle n’a pas une portée nationale.

A la guerre, le plan est le premier mort: il est presque exclu qu’il soit parfait. Les plans et les programmes politiques ne prévoient pas tout. L’important est que le chef décide à chaque étape, qu’il franchisse des cols, car la route n’est ni plate ni droite, et que ses ordres soient exécutables.

Selon Bert, les présidents français agissent sous un déguisement monarchique, mais sont plutôt des bouffons. Ils cherchent l’affection du peuple, mais préfèrent les people. Ce sont des vendeurs qui s’adaptent à la clientèle, avides de pouvoir et inaptes à l’exercer. Dans chaque sphère étatique, notamment dans le binôme exécutif, un chef naturel devrait être présent pour tirer profit des experts, communicants et autres arrangeurs capables de mettre en valeur les compositions des leaders.

Le danger révèle les chefs. On ne peut cependant pas souhaiter des désastres pour les voir surgir. Il faut pour l’instant composer avec les défauts de la démocratie et espérer trouver des chefs au sein d’institutions (l’armée, la police ou l’entreprise) qui ne fonctionnent pas selon un mode électoral.

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