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RF + FA

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2120 12 avril 2019

Le moteur de toute l’affaire est que les Etats qui nous entourent contestent la légitimité des statuts fiscaux privilégiés que certains cantons accordent aux entreprises multinationales pour les retenir sur leur sol. En d’autres termes, pour garantir une bonne concurrence économique, il faut réduire l’indépendance fiscale des Etats.

La RIE III, soit la troisième réforme de l’imposition des entreprises, avait pour but de satisfaire à ces exigences internationales tout en créant de nouveaux outils fiscaux. Le 12 février 2017, le peuple refusa cette réforme, notamment à cause de l’absence, dénoncée par la gauche, de compensations sociales suffisantes aux pertes fiscales qui en résulteraient.

Le Conseil fédéral repartit à l’attaque avec le PF17 (Projet fiscal 2017), qui sembla assez rapidement promis à une même déroute. Pour éviter un nouveau ratage, des parlementaires de gauche et de droite mirent sur pied l’accord RFFA: on «compenserait» les pertes fiscales par une augmentation équivalente des ressources de l’AVS: en gros deux milliards contre deux milliards. De là cet acronyme composite: RF pour «réforme fiscale» et FA pour «financement de l’AVS».

Les deux milliards de l’AVS seraient financés, d’une part (1,2 milliard) par une augmentation paritaire de 0,3% des cotisations salariales, d’autre part (800 millions) par une contribution de la Confédération.

Chaque canton fixerait un taux unique pour l’imposition du bénéfice des sociétés, qui serait plus élevé qu’aujourd’hui pour les multinationales et moins pour les entreprises locales. Ce taux devrait rester assez bas pour que les premières restent dans le pays et assez élevé pour ne pas porter une trop lourde atteinte aux finances de l’Etat.

Entretemps, l’Etat de Vaud avait pris de l’avance en décidant souverainement de mettre en œuvre la «part vaudoise de la RIE III», avec un taux unique de 13,79%. Le peuple a accepté la réforme, elle fonctionne depuis janvier 2019. Il est encore un peu tôt pour juger de son efficacité et de ses effets secondaires. D’autres cantons ont pris des dispositions semblables.

Un référendum ayant été lancé contre la RFFA, le peuple votera le 19 mai. Les partis Démocrate-chrétien, Radical-libéral, Bourgeois démocratique, Evangélique suisse et Socialiste, ainsi que l’Union suisse des arts et métiers et «Economiesuisse» soutiennent la réforme. Les Verts, les Verts libéraux, les jeunes UDC et les jeunes socialistes y sont opposés. L’UDC, l’Union syndicale suisse et le syndicat Unia ont laissé la liberté de vote.

Nous comprenons le souci de conserver en Suisse des entreprises internationales qui fournissent à peu près 150’000 emplois (sans parler des emplois indirects) et paient la moitié de l’impôt fédéral sur le bénéfice des entreprises (5 milliards). L’inscription de la Suisse sur une liste grise, voire noire des pays fiscalement incorrects pourrait faire fuir une partie, difficilement estimable, de ces emplois et de ces revenus.

Nous comprenons tout autant la nécessité d’assainir la situation de l’AVS, qui se trouve dans les chiffres rouges depuis 2014 et dont les placements financiers ne rapportent plus de quoi compenser les déficits (différence entre les primes perçues et les rentes payées). Notons en passant que les deux milliards versés à l’AVS dans le cadre de la RFFA ne permettraient pas de l’assainir, juste de l’aider à survivre en attendant l’indispensable réforme de fond.

Mais nous comprenons surtout que ces deux questions n’ont rien à faire ensemble. Cette loi est le résultat d’un bricolage acrobatique conçu au détriment du principe général de l’unité de matière, qui interdit de mêler, dans un même texte soumis au vote du peuple, des dispositions de nature ou de buts différents. Ce principe vaut pour les lois et les arrêtés comme pour les articles constitutionnels.

On nous dira que notre remarque est étroitement formaliste. Nous répondrons que la forme et le fond sont étroitement liés. L’unité de matière n’est pas d’abord une exigence administrative. Marque de la rigueur du législateur, elle est une condition de la clarté de la loi et de la prévisibilité de son application. Surtout, elle seule permet au peuple et aux cantons de se prononcer clairement, en connaissance de cause et sans arrière-pensées. Quand une seule loi traite simultanément plusieurs matières, on peut être d’accord avec une partie de cette loi et opposé à une autre, tout en refusant qu’on sacrifie l’une à l’autre. L’électeur ne se trouve plus devant une pesée d’intérêts, mais devant un choix impossible, un déchirement. Sur le plan institutionnel, c’est une dissolution des droits populaires.

Comme trop souvent, on nous propose de sacrifier des principes généraux à des buts momentanés. Nous ne nions pas, en l’occurrence, l’importance de ces buts. Mais, à toujours sacrifier le long terme à l’urgence, même réelle, la Suisse est en train de s’enfermer dans une espèce d’idéologie utilitariste qui liquéfie sa colonne vertébrale politique. Ne pouvant cautionner une telle dérive, nous ne soutenons pas la RFFA.

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