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Occident express 29

David Laufer
La Nation n° 2122 10 mai 2019

D’où vient la légitimité, en politique? Du suffrage, nous répondent les conventions. Ce qui est vrai, mais pas partout. En Serbie, deux siècles de pratique ont démontré que la démocratie parlementaire n’est jamais qu’un vernis sous lequel survivent d’autres usages, plus anciens et mieux acceptés. La machine ne fonctionne que par à-coups, mais ses petits bonds en avant sont plus souvent dus aux liens du sang ou à des arrangements secrets qu’à une élection. Aleksandar Vu?i?, le président de la république, en sait quelque chose. A force d’organiser des élections pour cimenter son assise, de museler la presse pour faire taire l’opposition, il est effectivement parvenu à diriger tous les échelons du pouvoir. Pourtant, il est haï par une part croissante de la population. Je dis pourtant, car même ceux qui le haïssent avec le plus de virulence reconnaissent que sa politique pro-européenne n’est pas seulement la bonne, elle est l’unique solution dans les circonstances actuelles. Alors d’où viennent cette haine et ce mépris croissants? De l’absence de légitimité réelle. Vu?i? a acquis son pouvoir dans les couloirs du parlement, dans les ministères et aux élections. Or ici la légitimité reste profondément liée à la gloire militaire. Milosevic était soutenu car il était en guerre, Tito était adulé car il avait gagné la guerre, Pierre 1er de Serbie aussi, et ainsi de suite. On peut trouver cela anachronique ou barbare, mais regardons la France. Qui, dans les deux siècles qui ont suivi la révolution, a bénéficié d’une telle incontestable légitimité, qui émerge dans l’imaginaire national avec autant de force et d’évidence que Bonaparte et de Gaulle. Comment expliquer autrement cette Cinquième république, aujourd’hui gouvernée par des technocrates élus, et aussitôt détestés? Alors on pourrait se dire qu’en Suisse on n’est pas de ce bois, notre séculaire neutralité nous ayant inculqué l’amour des lois. Ce qui serait vrai si nos élections et nos votations servaient à autre chose qu’à cimenter le statu quo et s’assurer que la possibilité de changement offerte aux élections ne soit jamais suivie d’effets. Nous avons appris à reconnaître et entretenir, derrière le théâtre d’ombres de nos suffrages et de nos parlements, les usages secrets qui nous conviennent. Empêchés par les accidents d’une histoire excessive, les Serbes sont toujours en train d’apprendre ce jeu d’équilibriste. Reste à savoir combien de fois ils devront encore s’esquinter pour s’y retrouver.

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