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Directive UE sur les armes: bureaucratie paranoïaque

Félicien Monnier
La Nation n° 2122 10 mai 2019

La directive de l’UE sur les armes ne poursuit pas seulement un but antiterroriste. Elle cherche à «lutter contre l’utilisation abusive des armes à feu à des fins criminelles». Ces derniers temps, Madame la conseillère fédérale Keller-Sutter l’a rappelé à plusieurs reprises.

Cela revient à dire que l’UE associe, voire identifie dans le cas des armes semi-automatiques, la notion d’arme à celle de crime. Cette conception n’est pas tout à fait rationnelle.

Elle n’est pas beaucoup plus raisonnable que la conception défendue le
1er mai dernier, sur le plateau d’Infrarouge, par Madame la conseillère nationale socialiste vaudoise Brigitte Crottaz. Cette dernière a cru qu’il suffisait, sur un ton à la fois indigné et inquiet, de dire qu’une arme semi-automatique était «une arme de guerre» pour que, comme par révélation, le bon téléspectateur romand comprenne la nécessité de reprendre en droit suisse la directive de l’UE.

Les mots «crime» et «guerre», utilisés ici comme un synonyme de «mal», diabolisent le propriétaire d’arme. Dans le premier cas on l’accuse d’être un criminel en puissance, dans le second on le suspecte de quelque morbide déviance belliciste et militariste. Autrement dit, on le marginalise. Le crime est une rupture d’avec la paix publique et l’ordre humain. La guerre, dans sa conception classique, est un basculement maîtrisé dans la violence, justifié par l’échec des moyens politiques non-violents. Ni le crime ni la guerre ne ressortent de la normalité. Dans la bouche de Mme Crottaz, l’anathème rebondit sur le détenteur d’arme, voué aux marges de la société.

Mais le cri d’orfraie de Madame la conseillère nationale n’a, en réalité, rien à voir avec la destination militaire du Fass 90 ou de la Kalashnikov. Un examen historique et pratique suffit à relativiser son propos. Le mousqueton 31 de nos grands-pères était une arme de guerre en 1945. Il ne l’est plus aujourd’hui et en Suisse pour des raisons d’équipement. Certaines unités de certaines armées du Commonwealth utilisent pourtant encore de vieux Lee-Enfields à verrou. En réalité, toute arme est potentiellement une arme de guerre. L’arc anglais a fait à Azincourt des ravages décisifs. Aujourd’hui, l’arc est une discipline olympique.

Mais il y a plus. Utilisé comme il convient, l’ordinateur sur lequel j’écris ces lignes est une arme plus puissante qu’un bombardier. Le processeur de mon frigidaire connecté sert d’intermédiaire à des opérations de guerre cybernétique.

Ne voyons donc rien d’autre, dans les propos de Mme Crottaz, que la saisine d’une occasion rhétorique de jouer sur la peur.

Admettons toutefois que les armes font partie de ces rares objets poussant au fantasme. Elles partagent cette dimension, dans une moindre mesure, avec les objets en or. La pureté de ce métal, son indestructibilité, sa beauté et son histoire en font l’objet de toutes les fascinations. L’arme, outil de mort et donc de pouvoir, développe elle aussi une aura. Elle renvoie à la noblesse, ou, à tout le moins, suscite une certaine déférence. La proximité étymologique entre armes et armoiries n’y est pas pour rien. Auquel de ces deux termes le président de la République française pense-t-il lorsqu’il invoque «la grandeur des armes de la France» pour saluer le sacrifice d’un soldat au Mali? L’arme exprime la liberté de son porteur ou détenteur. En Appenzell, le citoyen se présente à la Landsgemeinde, encore aujourd’hui, l’épée au côté. Cette liberté, marque de la confiance de l’Etat pour son citoyen, se prolonge chez nous dans l’armée de milice et l’arme d’ordonnance conservée à la maison. L’armée de milice fait que les Suisses ne sont pas un peuple de cow-boys. Chez nous, la possibilité de détenir une arme n’exprime pas la liberté absolue des individus – trêve de modernité libertaire! – mais la souveraineté de la communauté politique.

L’arme est aussi l’outil de l’héroïsme. Les grandes figures mythologiques européennes sont associées, de près ou de loin, à l’univers martial: Achille, Arthur, Roland, Jeanne d’Arc, même notre Davel. Le héros révèle sa valeur au combat. La victoire, ou le sacrifice les armes à la main, justifie son action et fonde sa gloire.

Notre rapport aux armes est donc indéniablement marqué de traits mentaux et de références culturelles. Que certaines se développent dans la sincérité des jeux de l’enfance révèle la profondeur de leur ancrage et de leur symbolique.

Tous s’accorderont donc à dire que l’usage d’une arme doit être contrôlé. Les opposants et partisans de la réforme s’opposeront toutefois fondamentalement sur les moyens.

Craintifs et défiants, n’ayant jamais appuyé sur une détente pour certains, les partisans de la LArm recourent à l’Etat pour contrôler les armes. Commettant l’erreur métaphysique de penser pouvoir éradiquer le mal, ils abordent, en réalité, le sujet avec légèreté. Ils se contentent alors d’une loi, faite de seule encre et de simple papier.

Les opposants savent l’épaisseur de la culture. Ils savent combien maîtriser le cœur et les passions de l’homme est difficile, aussi sont-ils humbles. Ils savent l’importance de l’éducation et de la transmission. Ils font le pari qu’en 2019 il est encore possible d’encadrer l’usage d’un fusil par les mœurs. Leur défiance ne va pas au citoyen, elle va à la bureaucratie européenne et à sa boulimie législative. Cette bureaucratie s’appuiera sur une conception fausse, sans doute méprisante et assurément paranoïaque, des armes et de la citoyenneté. Le 19 mai 2019, la Ligue vaudoise votera non à la loi sur les armes.

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