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Surtout ne changeons rien

Jacques Perrin
La Nation n° 2123 24 mai 2019

Le Matin Dimanche du 28 avril nous apprend que les écoles romandes sont infestées de petits péteurs de plombs (ppp) qui terrorisent les classes primaires. Jusqu’à présent, certains adolescents perturbaient la vie scolaire; maintenant des gamins de 4 à 8 ans dysfonctionnent. Les différents départements cantonaux de l’instruction publique reconnaissent le problème. Certains parents ne faisant pas leur part du job éducatif, des bambins incapables de se concentrer ont des problèmes d’hygiène, s’agitent, se battent, mordent, s’opposent à tout et ont besoin d’être canalisés en permanence. Selon Mme Amarelle, qui a vu de ses yeux une maîtresse fondre en larmes au cours d’une séance d’information destinée aux enseignants, le système risque d’imploser si rien n’est fait contre l’augmentation significative des troubles de comportement d’élèves de plus en plus jeunes. Les enseignants souffrent et s’escriment à rétablir l’ordre, en vain, dans des réseaux comportant une multitude d’intervenants. Le problème est connu au Québec depuis 2001, en Suisse allemande depuis 2014. Le conseiller d’Etat fribourgeois Jean-Pierre Siggen déclare: Chez les petits, le phénomène est relativement récent. La rapidité de son développement reste étonnante.

Les psycho-socio-pédagogues cherchent les causes du phénomène qui touche tous les milieux sociaux. Il est question de parents absents, de familles éclatées, de parcours migratoires compliqués, de pères et de mères surchargés par les déplacements professionnels, de déménagements, d’absence de réseau familial chez les expatriés, de divorces et de séparations. A cela s’ajoute l’usage d’écrans en tous genres dès la plus tendre enfance.

Le tableau est préoccupant. Les milieux politico-pédagogiques répondent par l’argent, par un surcroît d’idéologie ou par le déni. Mme Amarelle dépensera 12 millions pour traiter les élèves atteints de troubles graves et intenses. Dans le cadre du Concept 360°, elle soutiendra la parentalité; elle placera les élèves difficiles dans des classes spéciales (c’est l’école inclusive?); elle engagera des éducateurs sociaux, créera des centres de compétence socio-éducatifs qui iront chercher les professionnels dont les écoles ont besoin. Accessoirement, cela fournira des emplois aux nombreux diplômés des facultés de sociologie et de psychologie, clients probables des partis de gauche …

Quant au journaliste Xavier Alonso, auteur de l’article du Matin Dimanche, il nous rassure: L’école inclusive fonctionne […]. Offrir à chaque enfant un environnement adapté à ses particularités individuelles est un objectif louable […]dont les résultats, tant sur le plan comptable que sur l’acquisition de compétences sociales, ne sont pas à discuter. Qu’est-ce que le plan comptable? L’argent dépensé? Le nombre d’élèves certifiés? Le nombre d’élèves accédant au gymnase? L’obtention de compétences sociales est-elle le but essentiel de l’école? Grâce à M. Alonso, nous sommes certains d’une chose: l’existence des ppp n’est qu’un incident, un petit caillou sur le chemin menant à la perfection pédagogique. L’idée égalitaire qui sous-tend l’école inclusive ne sera pas mise en doute. Les difficultés auxquelles on se heurte ne sauraient provenir des choix scolaires et sociétaux des années septante. On ne s’interrogera pas trop longtemps sur la prolifération des ppp. Ce serait mettre en question de multiples droits: au diplôme, à la différence, au divorce, à la séparation, à la migration, à la mobilité, et affronter des réalités pénibles: les exigences disproportionnées du travail aux dépens de la vie familiale ou le remplacement de l’écrit par les images et les jeux vidéo.

Le psychologue Jean-Paul Gaillard, auteur d’un livre intitulé Enfants et adolescents en mutation, enfonce le clou idéologique (Le Matin Dimanche du 5 mai): Chaque mutation sociale produit un enfant différent. Naguère, l’autorité était verticale. Des signaux de domination et de soumission s’échangeaient. Depuis à peu près vingt ans, l’égalité est présupposée. L’enfant mutant dit: Je suis ton égal et j’ai autorité sur moi. Etre traité en égal est le nouveau mode de respect. M. Gaillard admet que les enfants ne savent pas s’auto-éduquer et qu’il faut de la régulation. Selon lui, il existe 1,5 % à 2,5 % de perturbateurs qui ne vont pas bien du tout. Des centres spécialisés voire des hôpitaux doivent les prendre en charge. Pour les autres, les parents et les enseignants, s’ils consentent au nouveau modèle égalitaire et ne restent pas accrochés à l’autoritarisme, devraient surmonter les difficultés. Concernant les bambins de 2 à 4 ans, les parents fixent des limites et ça marche 8 fois sur 10. Ils les privent d’écrans avant 3 ans et de jeux vidéo avant 6 ans, le tour est joué. Sinon un psychologue leur vient en aide. M. Gaillard place les adultes incompétents devant un miroir et ils apprennent à accorder leurs exigences, leur discours, leur posture et leurs expressions non verbales. Mais ce sont surtout les enseignants récalcitrants qui posent problème. Ils remarquent trop l’inégalité des compétences, veulent trop commander. Ils devraient plutôt intéresser leurs élèves au travail scolaire et cesser de leur donner des ordres. Les enseignants égalitaires réussissent, sont respectées et heureux en classe.

Dans les années quatre-vingts du siècle dernier, au début de son parcours pédagogique, le soussigné entendait déjà dire: A l’école, il n’y a pas d’élèves indisciplinés, mais seulement des enfants qui s’ennuient.

Bref, pas de soucis. Egalité, tolérance et technocratie poursuivent leur carrière scolaire. L’abondance de moyens fait passer la pilule.

Alors que la doctrine officielle a accru depuis des décennies les droits des élèves et des parents tout en entravant la liberté d’action des maîtres, les médias mettent de temps à autre à l’affiche, pour la galerie, un chef de service fribourgeois ou neuchâtelois, blanchi sous le harnais, déclarant que les enseignants doivent établir les règles du vivre-ensemble, exiger leur respect, serrer la vis, et que le département les soutiendra. Aucune clientèle électorale n’est négligeable…

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