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Occident express 39

David Laufer
La Nation n° 2131 13 septembre 2019

Mars tentait de monter une dernière offensive. Assis autour du poêle, mon beau-père me redisait son dégoût du gouvernement actuel, je l’entretenais des vertus de l’indifférence. «De toute façon, répétais-je, ce gouvernement ou un autre, le résultat sera rigoureusement le même, l’Europe l’exige.» Mais lui, sirotant le vin de l’automne dernier, qui est encore un peu piquant, n’en démordait pas. «C’est quoi, cette Europe qui exige! Qui nous prend pour des sauvages mais qui laisse des millions de réfugiés traverser nos campagnes pour remplir ses usines! Qui nous vole nos meilleurs cerveaux mais qui nous impose des shopping malls où plus un mot n’est écrit en serbe!» Je voulais passer à un autre sujet. «Si c’est ça, l’Europe, eh bien non merci! Laissez-nous tranquilles, on s’en est toujours tiré bien mieux sans vous!», lança-t-il enfin un peu à moi-même, ce beau-fils occidental qu’il soupçonne toujours d’intelligence avec l’ennemi. Et voilà, l’intégration européenne, cet horizon qui ne cesse de s’éloigner, plus personne n’y croit vraiment. Ni Bruxelles, ni Berlin, ni Belgrade. Le rêve que représentait l’UE s’est transformé en un petit comptable, court de vue et moralisateur. Alors que Pékin a une vision stratégique claire, des vrais moyens pour l’appliquer, des résultats à montrer et aucune leçon à donner, Bruxelles multiplie ses sermons mais n’offre aucun plan et aucun agenda précis. Et des résultats éclatés en millions de petites initiatives au nom de toutes les minorités possibles ou supposées. Il y a quinze ans, conseiller du Ministre de la culture, j’avais sollicité le soutien de Pro Helvetia et de l’UE pour la reconstruction du Musée National de Belgrade, enjeu culturel majeur pour le pays entier. Mais non: «Nous soutenons tel festival de danse folklorique, tel groupement de femmes roms, etc.» Autrement dit, la charité. On préfère, aujourd’hui encore, la méthode des dons en centimes, sur justificatifs, visés par une administration omnipotente. On laisse la Croatie faire de la haine anti-serbe un quasi programme d’Etat, mais on ne s’indignera que lorsque des réfugiés syriens seront ramenés de force à la frontière. On laisse le gouvernement serbe liquider un à un tous les médias libres, mais on ne s’épouvante que d’une protection policière un peu lâche lors de la Gay Pride. On laisse la Bosnie-Herzégovine s’enfoncer dans un chaos presque complet, ce qui compte, c’est que les Serbes admettent enfin que Srebrenica fut un génocide et non pas un massacre. Et ne parlons pas du désastre du Kosovo. L’UE est probablement morte dans sa gestion de la crise grecque, même Merkel ne fait plus illusion désormais. Pourtant, dans cette région qui en aurait bien besoin, cette illusion institutionnelle n’en finit pas de mourir. Comme un poussin qu’on écraserait d’un coup de talon, les Balkans m’ont offert un traitement brutal mais définitif pour tout ce qui me restait d’idéal européen.

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