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Le lobby est-il nuisible?

Jean-François Cavin
La Nation n° 2132 27 septembre 2019

Les lobbies ont mauvaise presse. Ils sont suspects de défendre, dans la pénombre des vestibules du pouvoir, des intérêts particuliers bassement matériels, guère compatibles avec le bien du pays. Ils achètent des parlementaires par des cadeaux modestes ou confortables, ou par l’offre de places bien rémunérées dans des conseils privés. Ils financent, par divers canaux, des propagandes biaisées, quand ce n’est pas mensongères.

La saison préélectorale est propice à l’examen de leurs actions occultes. Quels candidats soutiennent-ils? Quelles campagnes financent-ils? Quelles influences inavouables le nouveau parlement subira-t-il? Voilà du grain à moudre pour les chroniqueurs. Et pour les parlementaires eux-mêmes: le Conseil des États, en ce mois de septembre, a maintenu une proposition (que le Conseil national n’avait pas acceptée dans un premier temps) visant à renforcer l’obligation de renseigner le public sur les liens existants entre les élus et les groupes d’intérêts.

Dans Domaine public électronique, Mme Yvette Jaggi livre quelques réflexions à ce sujet. Ses appréciations restent modérées, car elle voit bien que, dans un parlement de milice, les élus ont nécessairement d’autres activités et d’autres revenus que ceux liés à leur fonction publique. Mais elle ne peut s’empêcher de jeter un regard critique sur cette situation, ce qui nous vaut d’ailleurs une remarque assez énigmatique. L’ancienne directrice de la Fédération romande des consommatrices (elles étaient du genre féminin à l’époque, nous semble-t-il) relate une enquête de l’Alliance suisse des organisations de consommateurs qui a recensé les votes des conseillers nationaux romands sur les objets touchant à la consommation. L’Alliance classe les élus dans trois catégories. Les «ardents défenseurs», qui se sont prononcés à plus de 80% en faveur des consommateurs, sont des socialistes, des Verts ou des représentants de l’extrême-gauche. Les «peuvent mieux faire» (entre 44% et 51% de votes en faveur des consommateurs) sont généralement démocrates-chrétiens ou verts-libéraux. La troisième catégorie, qui ne soutient les consommateurs que dans 21 à 25% des cas, est celle des élus PLR et UDC. Mme Jaggi conclut: Aucune surprise donc, mais la démonstration des correspondances entre partis et « lobbies ». Mais quelle démonstration? Que les PLR et UDC sont circonvenus par les représentants des producteurs et du commerce? Ou que les parlementaires de gauche sont sous l’influence des associations de consommateurs... qui sont aussi un lobby? Notons d’ailleurs qu’il n’est pas exclu que les votes soient inspirés non par le jeu des intérêts, mais par une conception plus ou moins interventionniste de la politique.

On voit en tous cas que les choses ne sont pas simples. Il serait de toute façon erroné de penser que c’est la droite seulement ou principalement qui cultive des liens avec les groupes d’intérêts. Que d’affinités, et plus si entente, entre la gauche et les associations de consommateurs, comme on vient de voir, de locataires, de patients! Et que de forts engagements (et de belles prébendes?) dans le monde syndical!

A tous ces contacts, voire ces accointances, nous ne voyons pas d’inconvénient majeur. Car les lobbies privés font face à une puissance bien plus agissante: l’administration publique. Celle-ci n’agit pas – sauf cas exceptionnel – en faveur d’intérêts particuliers autres que le sien propre: celui de sa croissance, celui de son confort politique et matériel, celui de la satisfaction de ses ambitions technocratiques, ce qui ne se recouvre pas avec l’intérêt général. Les lobbies, bien entendu, ne doivent pas gouverner. Ils n’y parviennent généralement pas chez nous. Mais ils représentent légitimement le pays réel, face à une bureaucratie crypto-tyrannique et à un parlement sensible aux séductions fallacieuses des idéologies et aux exigences douteuses de l’électoralisme.

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