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Il faut réformer la péréquation intercommunale

Jean-François Cavin
La Nation n° 2134 25 octobre 2019

La Cour des comptes a rendu à début octobre un audit assez accablant sur la péréquation intercommunale. Nous ne traiterons pas ici de la totalité de ce rapport, encore moins de la péréquation intercommunale sous tous ses aspects, et cela pour deux bonnes raisons. Premièrement, le système est si compliqué qu’il faudrait deux pages de ce journal pour le décrire et le commenter, ce qui lasserait assurément le lecteur. Secondement, pour exposer les règles de la péréquation dans tous leurs détails, l’auteur de l’article devrait être certain de les comprendre entièrement... Mais l’audit est assez riche de constats souvent importants pour qu’on puisse en tirer d’utiles réflexions.

La première touche précisément à la complexité du système. Il semble que seule une poignée d’initiés s’y retrouve; les communes sont donc souvent perplexes devant les résultats qui leur sont imposés, d’autant plus que le calcul dépend en partie de données inconnues au moment de l’élaboration de leur budget. Cette obscurité et cette imprévisibilité sont malsaines. On devrait pouvoir y remédier par une simplification des mécanismes, dont la Cour des comptes esquisse les contours. Cela faciliterait aussi la gouvernance du système, dont l’audit révèle qu’elle est très déficiente (défaut de directives pourtant annoncées, de contrôles, d’évaluation).

Il en résulte une deuxième critique: des règles à la fois complexes et imprécises se prêtent à des interprétations que les communes font chacune à sa manière, si bien qu’elles se livrent, comme écrit pudiquement la Cour, à de «l’optimisation péréquative». Il y a même des cas – c’est nous qui le disons – où «l’optimisation» pourrait paraître frauduleuse.

Le régime actuel repose sur plusieurs éléments, notamment:

–  le potentiel fiscal des communes, mesuré au rendement du point d’impôt, pour aider les communes dont ce potentiel est faible; autrement dit, on aide celles dont les contribuables sont en moyenne peu aisés;

–  l’effort fiscal des communes, mesuré à leur coefficient d’impôt; on ne devrait pas soutenir celles qui conservent une fiscalité trop légère; aide-toi, la péréquation t’aidera;

–  le chiffre de la population, afin de favoriser les communes peuplées, notamment les «communes-centres» supposées assumer des charges régionales;

–  les «dépenses thématiques» en matière de transports et de forêts, pour tenir compte des cas où elles grèvent particulièrement les comptes communaux;

–  la «facture sociale», répartie de manière à accentuer la péréquation;

–  la «facture policière», répartie dans le même esprit.

C’est le premier de ces éléments qui devrait, en bonne logique, être déterminant, le but étant de soulager les communes qui ont peu de moyens parce que leurs contribuables n’en ont pas beaucoup non plus. Or ce premier critère de redistribution ne fonde qu’une part minime des sommes totales utilisées pour la péréquation: 109 millions sur 1’501 millions en 2017. C’est paradoxal.

On peut même se demander si c’est juridiquement correct, la Cour des comptes étant d’ailleurs muette à ce sujet. En effet, la Constitution, à son article 168 alinéa 2, dispose que «la péréquation financière atténue les inégalités de charge fiscale consécutives aux différences de capacité contributive entre les communes». Aucun autre critère de redistribution n’est cité. Le système légal actuel déborde donc monstrueusement de sa base constitutionnelle. Est-ce conforme au droit, la même Constitution précisant à son article 7 que «toute activité étatique respecte le droit supérieur»?

Si la péréquation constitutionnellement légitime reste marginale, celle qui résulte de la part communale à la facture sociale devient gigantesque au fil des années. Elle a doublé en douze ans (sans inflation!), alors même que des allègements substantiels de cette part communale ont été consentis à deux reprises. Elle monte à 770 millions en 2017, soit la moitié de la masse totale dévolue à la péréquation. On ne corrigera pas les excès de l’ère maillardo-broulienne si le PLR ne se ressaisit pas.

L’audit examine particulièrement la péréquation réalisée sur la base des «dépenses thématiques». L’idée d’utiliser ce critère avait de quoi séduire: certaines communes, souvent parmi les plus petites, ont de très longues routes à entretenir, des transports scolaires à organiser sur de grandes distances, des forêts dont l’exploitation, de nos jours, coûte parfois plus qu’elle ne rapporte. Mais cela pose de redoutables problèmes méthodologiques (définition des besoins, calcul des dépenses nettes, effet de l’aide sur la politique communale en ces matières) qui ne sont pas maîtrisés. Et cela pour un résultat péréquatif minime, noyé dans le flux torrentiel de la facture sociale. La Cour des comptes propose donc d’abandonner ce critère de redistribution. Elle suggère aussi de séparer le problème des «communes-centres» de la péréquation proprement dite.

Une nouvelle conception de cette usine à gaz est à l’étude. Une journée de réflexion, à fin 2018, a permis de poser quelques jalons, grâce notamment au professeur neuchâtelois Claude Jeanrenaud dont certaines idées trouvent un écho dans l’audit. La Cour des comptes apporte maintenant une contribution notable à la refonte envisagée, dans une perspective qui nous semble judicieusement orientée. Il faudrait probablement aller plus loin encore, en recentrant la péréquation sur sa raison d’être et sur sa base constitutionnelle: l’inégalité du potentiel financier des communes, mesuré selon la capacité contributive de ses contribuables et tenant compte en outre des revenus nets du patrimoine (immeubles, services industriels, etc.). Bon courage aux réformateurs!

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