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Les déductions fiscales ne profitent qu’à ceux qui paient des impôts

Olivier Klunge
La Nation n° 2134 25 octobre 2019

Le Parlement fédéral, dans les derniers jours de la législature, a adopté une modification de l’impôt fédéral direct (IFD) en faveur des parents: d’une part les déductions du revenu imposable par enfant passeront de CHF 6’500 à CHF 10’000 par an; d’autre part les familles dont les enfants sont «pris en charge par des tiers» pourront déduire un montant complémentaire passant de CHF 10’000 à CHF 25’000 par an et par enfant. Ainsi une famille avec un ou deux revenus ascendant à CHF 120’000 au total ne paiera l’IFD non sur ce montant, mais sur un revenu fiscal de CHF 50’000 s’il a deux enfants en garderie. Au lieu de payer un impôt fédéral de CHF 3’187 sans déduction, il paiera CHF 217.

Comme le barème de l’IFD est fortement progressif (entre 0,77% ou CHF 25 pour CHF 17’800 de revenu annuel, jusqu’à 11,5%) et qu’il est très similaire pour une personne seule ou pour un couple marié, les époux avec deux revenus sont fortement pénalisés. Par exemple, des concubins avec un salaire de CHF 80’000 et un autre de CHF 40’000 paieront CHF 1’759, alors que des époux dans la même situation paieront près du double. Cette injustice reconnue par le Tribunal fédéral (TF) depuis 1984 n’a toujours pas été corrigée par le législateur fédéral. Suite à l’annulation par le TF l’année dernière du vote de 2016 sur l’initiative populaire «Non à la pénalisation du mariage», divers projets de révision sont en discussion. Cependant, faute de consensus sur le modèle à appliquer, les choses traînent depuis trente-cinq ans…

Cette discrimination des couples mariés est particulièrement forte pour les couples avec enfants à deux revenus. Une étude de 20091 montre qu’après déduction des impôts et des frais de crèche, le revenu disponible complémentaire apporté par le second salaire n’est que de 20% environ si les deux époux travaillent 5 jours par semaine. Quel que soit le temps de travail du second conjoint, avec une répartition de revenus de 150’000 et 60’000, le couple a moins de revenus disponibles que si seul le premier conjoint travaillait.

En pratique, et malgré toutes les déclarations d’intention de nos politiciens, l’impôt fédéral incite donc les femmes à diminuer, voire à arrêter leur activité lucrative, en particulier pour les couples à hauts revenus, au grand dam des entreprises. C’est pour corriger rapidement cet état de fait que le Parlement a décidé de la réforme des déductions pour les familles.

Le parti socialiste suisse, pourtant thuriféraire de l’égalité entre les sexes, a lancé un référendum contre cette réforme qui ne profite qu’à ceux qui paient l’IFD (autrement dit les «riches» en jargon gauchiste). Puisque 40-45% des familles ne paient pas l’IFD, il paraît évident qu’elles ne profiteront pas d’une diminution de cette charge qu’elles n’ont pas. Pour l’autre part (majoritaire) des familles, il est aussi évident que plus elles paient d’impôt, plus l’impact de la réduction de leur revenu fiscal grâce aux déductions (celles-ci identiques pour toutes) sera important.

Puisque les hauts revenus paient la plus grosse partie des impôts, une diminution de la charge fiscale leur profite plus qu’à ceux qui n’en paient pas. De là à parler de cadeau… Comme le parti socialiste n’assume pas de simplement refuser une mesure en faveur des familles, il prétend que cette réforme fiscale pourrait être annulée et que la non-diminution des revenus fiscaux (autrement dit «économie fiscale» en jargon gauchiste) pourrait être utilisée à subventionner chaque enfant. De là à parler de cadeau…

Sur le fond, l’impôt devrait reposer sur un taux général bas et une progressivité restreinte, plutôt que sur une multitude de déductions et exceptions. La multiplication des déductions fiscales complique le système jusqu’à le rendre illisible. Le prélèvement des impôts n’a pas pour finalité de réaliser des buts politiques, mais de donner à l’État les moyens de les réaliser.

La modification des déductions pour les enfants et pour la garde par des tiers ne nous paraît donc pas idéale. Nous estimons que, plutôt que d’alourdir le régime de l’IFD par une correction supplémentaire, il serait préférable de supprimer cet impôt toujours conçu comme provisoire… depuis près de huitante ans. Cependant, vue comme un correctif applicable rapidement en attendant une révision plus importante de l’IFD, cette modification fiscale mérite d’être soutenue.

Notes:

1  Conférence romande des bureaux de l’égalité, Quand le travail coûte plus qu’il ne rapporte.

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