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Occident express 46

David Laufer
La Nation n° 2138 20 décembre 2019

Ayant traversé toute la Croatie en voiture, j’ai passé la frontière serbe et me suis arrêté dans une station d’essence pour un café bien mérité. Sur une étagère se trouvaient rangées des bouteilles de vin. Serbes, bien entendu, mais aussi croates, macédoniennes, monténégrines et slovènes. En repensant à la Croatie, j’ai souri à l’idée (saugrenue!) d’y trouver une seule bouteille de vin serbe dans une station d’essence. La propagande de l’État croate, depuis la déclaration d’indépendance de 1991, est unanime et efficace: la Serbie, c’est l’ennemi. Des amis croates évoquaient récemment leurs souvenirs de la guerre et parlaient sans cesse de «l’armée serbe» pour parler de l’armée yougoslave, sans du tout réaliser la portée tendancieuse de l’appellation. Le résultat, c’est que les Croates sont socialement unis dans une idée: continuer de construire la Croatie. Donc les Croates ne vendront jamais que du vin croate, ou italien, ou français, mais pas serbe. Les Serbes, eux, s’en fichent. Ils vendent et consomment du vin, et du croate s’il est bon. Ils n’ont jamais eu de sentiment très fort envers les Croates et peinent à comprendre leur animosité. Une amie zagreboise m’a expliqué: les Croates ont trop de complexes d’infériorité, les Serbes n’en ont pas assez. Quand vous découvrez Belgrade, la presse occidentale vous a mis en mode méfiance: peuple guerrier, génocidaire même, les Serbes ont massacré tous leurs voisins. Mais très vite, on doit constater un fort décalage entre cette image et la réalité. Les Serbes semblent ne nourrir envers leurs anciens ennemis que des sentiments soit d’indifférence, soit de vague exaspération. Pour ce qui concerne la haine, les Serbes ne la distillent et ne la dirigent que contre une seule et unique cible: eux-mêmes. Éternellement divisée entre sa partie orthodoxe et russophile dominante et sa partie européiste et libérale minoritaire, la population continue, dans ces manifestations qui désormais rythment nos samedis comme Kant rythmait les rues de Koenigsberg, de trouver tous les moyens de se désunir, de s’affaiblir et de s’infliger à elle-même des dommages auxquels les Croates ne peuvent que rêver.

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