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Occident express 47

David Laufer
La Nation n° 2139 3 janvier 2020

«Tranquille, tu vois.» Ces mots ont été prononcés il y a environ trente ans par un camarade d’internat. Et cela fait trente ans qu’ils me servent de caveat. Cet ami me décrivait ses premiers pas à l’université de Genève et prévoyait ainsi sa carrière dans une entreprise locale: «Tranquille, tu vois.» A peine l’avais-je entendu, tout au fond de moi, quelque chose s’était révolté. Comment se faisait-il qu’un jeune homme en pleine santé, dans la vingtaine, au bénéfice d’une excellente éducation, d’un passeport qui lui offrait le monde entier comme terrain de jeu et d’une capacité financière extraordinaire puisse se résigner, aussi tôt, et aussi paisiblement. Avec les années, j’ai vu se multiplier autour de moi ces jeunes Suisses résignés, vieillis, planifiant leurs retraites avant leur mariage, calculant les revenus de leur troisième pilier, massacrant avec soin toute forme de projet un peu hors du commun, obsédés par la norme et le confort. Et je suis parti, il y a cinq ans, délaissant Vevey pour Belgrade. Ce que j’ai fui, ce n’est pas un pays, c’est la satisfaction. Non pas celle que je voyais engloutir mon entourage, une génération après l’autre, dans son étreinte cotonneuse: celle que je sentais me saisir à l’estomac, qui me murmurait de rester, de ne pas tout risquer, d’être raisonnable. Et puis je voyais grandir mon garçon. On n’est jamais plus fort ou plus malin que le système dans lequel on vit. Un jour ou l’autre, il aurait lui aussi vingt ans et il me parlerait de son avenir «tranquille, tu vois». En le parachutant à l’âge de sept ans en plein Belgrade, après la douceur lémanique, je lui offrais autant de roses que d’épines. A lui de faire le tri. Il y a deux jours, je l’ai entendu s’énerver dans sa chambre. Et j’ai vu ce pré-adolescent, les poings levés devant son ordinateur, qui m’invectivait: «Papa, c’est vraiment nul, je peux m’abonner à aucun de ces sites, tout ça parce qu’on vit à Belgrade! C’est vraiment la zone ce pays!» Je suis sorti de sa chambre et j’ai refermé la porte avec un grand sourire.

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