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Dynasties hôtelières

Jean-François Cavin
La Nation n° 2142 14 février 2020

La Revue vaudoise de généalogie et d’histoire des familles nous offre, avec son dernier numéro paru en automne 2019, des études fort intéressantes sur des familles hôtelières du Canton, qui ont participé à l’essor du tourisme.

Voici, à Bex, la famille Dürr, venue d’Argovie et naturalisée dans la cité du sel en 1713, présente dans une auberge renommée durant cinq générations. Elle a repris le Logis de l’Ours d’un certain Pierre Gédéon Molles, décédé en 1782 (Dürr succédant à Molles!) et en a fait un établissement réputé loin à la ronde. Mme de Chateaubriand, en 1805, écrit que «l’auberge de cette petite ville est la meilleure de la Suisse». De fait, des grands du monde d’alors y séjournent volontiers et vantent l’excellence de la cuisine et de l’accueil. Les Dürr devaient savoir s’y prendre, non sans opportunisme: après la fin de la domination bernoise, le Logis de l’Ours est rebaptisé Hôtel de l’Union!

Le développement des affaires de la famille va de pair avec celui des cures. Molles avait déjà misé sur l’eau – mais pas celle de Bex: il l’importait de Courmayeur, dont la source était célèbre alors, par les sentiers muletiers du Val Ferret! Avec l’essor du thermalisme, au début du XIXe siècle, des médecins et des chimistes s’intéressent de plus près à l’eau bellerine et en découvrent les vertus, qu’on la boive ou qu’on s’y baigne; certaines publications la disent bonne pour combattre… une septantaine de maladies! Un cousin des aubergistes de l’Union, Louis Alexandre Dürr, fonde en 1823 les Bains de Bex, auxquels il adjoint une pension. La famille est dès lors au centre du développement de la station thermale, dont on a peine à mesurer aujourd’hui le succès international, culminant avec la construction du Grand Hôtel des Salines et marqué par le séjour de têtes couronnées et de membres de la plus haute société européenne.

Cette histoire familiale, qui se confond avec l’histoire touristique de la bourgade bellerine aux XVIIIe et XIXe siècles, est contée par Sandrina Cirafici et Pierre-Yves Pièce; leur précieux récit fourmille d’anecdotes tout en reflétant bien l’esprit d’une époque.

La famille Emery (quatre générations d’hôteliers) ne s’est pas limitée au Canton. Ses membres ont illustré la grande hôtellerie en Suisse bien sûr, mais aussi en Italie, en France, ailleurs encore. La saga familiale nous est narrée par Cécile Chombard Gaudin, à partir des papiers de famille (son mari est le petit-fils d’une Emery). Le premier Hôtelier de la lignée est Siméon, formé comme cuisinier, qui acheta l’hôtel de Londres à Yverdon en 1844. Son fils Gustave acquit en 1878 le Grand Hôtel des Bains, avec les bains et la ferme, puis la villa d’Entremonts; il agrandit l’établissement et fit notamment édifier la Rotonde. Un autre fils de Siméon, Louis, exerça dans des hôtels de Bologne et de Turin avant d’acheter l’Hôtel Terminus de Nice pour y installer son fils Henri, de la troisième génération. Troisième fils de Siméon, Lucien conduisit dès 1884 le Grand Hôtel d’Aigle, où il avait investi. Sa sœur Rose épousa Ami Chessex, le grand hôtelier de Montreux-Territet, en quelque sorte le père de la station touristique. Le dernier fils de Siméon (quelle impressionnante fratrie!), Alexandre, fit construire le Montreux Palace et développa une intense activité dans sa profession, dans le tourisme (il est un des fondateurs de l’Office suisse du tourisme) et dans la politique comme syndic du Châtelard, député et enfin conseiller national durant douze ans.

A la génération suivante, on retrouve des Emery à la tête de palaces à Nice, à Menton, à Evian, à Leysin, à Dieppe, à Paris, à Alexandrie… Seule descendante de la tribu à la quatrième génération, Marguerite perpétua l’activité familiale comme administratrice du Riviera Palace de Nice.

Même si les difficultés économiques n’ont pas été épargnées à ces entrepreneurs, notamment lors des deux guerres mondiales, on est frappé par leur capacité d’investissement dans de très importantes constructions. Les banquiers leur faisaient confiance, ils ont profité de quelques beaux mariages, mais surtout d’une grande solidarité au sein de la famille, ainsi que de la part de son alliée la famille Chessex. Les uns et les autres co-finançaient les projets, se cautionnaient à tour de rôle. Et les investissements considérables consentis à intervalles rapprochés semblent bien refléter la grande prospérité de «l’industrie des étrangers» jusqu’à la Grande Guerre; les marges devaient être très supérieures à celles d’aujourd’hui!

Avec cette livraison de la Revue vaudoise de généalogie, qui mentionne encore plus brièvement l’activité hôtelière de Jean Leresche et des siens, à Ballaigues (Grand Hôtel Aubépine), ainsi que l’existence d’autres dynasties établies surtout en Suisse allemande, c’est tout un pan de notre histoire économique qui se trouve mis en lumière.

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