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1917

Jean-Blaise Rochat
La Nation n° 2143 28 février 2020

Le film de Sam Mendes a reçu un accueil enthousiaste, tant de la critique que du public. Sa persistance dans les salles obscures en fait un véritable phénomène de société. Le scénario est très simple: deux soldats britanniques sont chargés de transmettre, au-delà des lignes ennemies, un message de la plus haute importance à un autre régiment, afin d’arrêter une assaut qui s’annonce comme un piège meurtrier. L’enjeu de la mission est le salut de 1600 vies, dont le frère d’un des émissaires.

Le succès de cette superproduction tient à la reconstitution méticuleuse du théâtre des opérations, à l’excellence des acteurs, à une bande-son très efficace. Plusieurs images sont saisissantes: les ruines d’un village dans la nuit, éclairées a giorno par la froide lumière des projecteurs et l’incendie de l’église, dégagent une poésie certaine. Ce qui a surtout suscité l’admiration des commentateurs, c’est de parvenir à donner l’illusion que le déroulement de l’histoire est composé de deux grands plans séquences. Ainsi, grâce à une caméra très mobile, le spectateur est immergé dans des péripéties qu’il a l’illusion de partager en temps réel avec les acteurs. La progression linéaire, un peu académique, ménage habilement l’alternance de l’action et de la détente. Tout est donc bien calibré pour embarquer le spectateur qui sort généralement secoué après deux heures de projection.

Pourtant le film est grevé de fâcheuses faiblesses. On croise quatre Allemands: un assassin, un franc-tireur, un ivrogne, un parjure. Du côté anglais, tout n’est que magnanimité, courage, sens de l’honneur et du sacrifice. L’aventure particulière de deux guerriers intrépides sert à renforcer une mythologie malsaine: la lutte de la civilisation contre la barbarie. Un siècle après les événements, oser un pareil manichéisme revanchard ne manque pas d’aplomb.

L’intrigue est truffée d’invraisemblances. A-t-on besoin d’eau? Un puits se trouve à dix pas de la scène. Le message crucial et quelques photos de famille, logés dans une boîte à cigares, ressortent secs et immaculés après une immersion longue et tumultueuse dans une rivière. Le déclenchement d’un piège, au fond d’une tranchée ennemie abandonnée, ne saurait être confié à la maladresse de nos héros (deux fois septante-cinq kilos), mais à la présence inopportune d’un rat d’une livre. La suite est grotesque: un des soldats, enseveli sous les décombres, se tire d’affaire sans une égratignure, avec un peu de poudre aux yeux (métaphore de celle qu’on envoie aux spectateurs?). La sortie du labyrinthe nous sert sur un plateau tous les clichés du genre, avec l’effondrement progressif de la galerie derrière les fugitifs, la faille qu’il faut sauter, le fort qui doit guider et presser le faible aveuglé par la poussière.

Dès cet épisode, situé au premier tiers, l’intrigue s’oriente résolument vers le film d’aventure. Les scènes mouvementées sont systématiquement traitées à la manière d’un jeu vidéo où le héros, dansant à travers les balles, ou échappant à une noyade certaine, semble ne jamais devoir épuiser ses vies. Ces lieux communs romanesques, on les admet volontiers dans un James Bond, mais pas dans un film à prétention historique, très documenté et fondé en partie sur les souvenirs de guerre du grand-père du réalisateur. L’oscillation permanente entre la rigueur de la reconstitution et les extravagances du scénario créent un malaise incoercible. Comme tout finit par sonner faux, ce film très spectaculaire ne dégage aucune émotion vraie. Un bon film d’aventure, peut-être; certainement pas un grand film de guerre.

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