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Écologie, que peut dire l’Église?

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2144 13 mars 2020

Le Synode de mars de l’Eglise évangélique réformée du Canton de Vaud a empoigné le dossier de la «transition écologique». C’est heureux. L’Eglise est certainement mieux placée que quiconque pour parler d’une façon équilibrée de la création et de son Créateur. Il faut juste qu’elle évite de vouloir agir et communiquer dans l’immédiat sous la pression du sentiment d’urgence, voire de panique, que les pro-climatiques diffusent.

L’Eglise passe à côté de sa tâche si elle se contente d’établir une liste des comportements bons et mauvais pour la planète, une morale écologique agrémentée de quelques conseils pratiques, en d’autres termes si elle reprend simplement à son compte ce que disent déjà tous les politiciens verts, les médias scientifiques et les Nobel médiatiques, les jeunes climatiques et les «grands-parents pour le climat».

Il faut aller plus loin. Qu’est-ce que l’Eglise a de spécifique à dire sur le sujet? Quelle lumière particulière jette-t-elle sur le statut de l’homme dans la création? Nous proposons quelques pistes de réflexion.

L’approche rationaliste et prométhéenne qui donne le ton en Europe depuis quatre siècles postule que l’univers est à la libre disposition de l’homo faber. Il a le droit d’en prendre ce qu’il en veut, de le modeler et remodeler à sa guise, de le vendre, de le démolir, de le bouleverser jusque dans ses particules élémentaires et ses structures les plus intimes. Il ne respecte pas d’autres règles que celles qu’il se fixe au gré de ses besoins.

Cette maîtrise théoriquement illimitée du monde est symbolisée par les perspectives du transhumanisme, une espèce d’idéologie scientiste qui se présente comme une synthèse des avancées en informatique, robotique, chimie, biologie, neurosciences et génétique. La révolution transhumaniste annonce un homme augmenté, plus fort et plus beau, débarrassé des souffrances, de la pauvreté, des guerres, des maladies et de la mort, un avatar moderne des dieux grecs ou romains, résidant dans une Olympe humaine que préfigure assez bien la station spatiale aseptisée du film «Elysium», de Neill Blomkamp.

Face à la conquête technicienne, l’Eglise rappelle que l’homme, même si son Créateur l’a fait «presque semblable à un dieu», comme le dit le psaume 8, n’est jamais qu’un gérant. Rien ne lui appartient. Sa vocation est certes de diriger le monde, mais c’est pour le mettre en valeur. Il est censé rendre compte de sa gestion auprès du Créateur.

Il n’y a pas de critère interne précis qui permettrait de dire qu’à partir de telle limite l’usage d’une technique est intrinsèquement mauvais. Les dégâts surviennent quand l’homme, oubliant sa place médiane, se prend pour un dieu et prétend déterminer lui-même, et à son profit exclusif, les finalités du monde créé. Ils surviennent aussi quand l’homme, pressé par la vanité, la concurrence ou l’appât du gain, met ses découvertes sur le marché sans contrôler suffisamment leur stabilité, leur absence de risques à long terme et leur cohérence avec la réalité existante. Ce manque de prudence et de mesure, parfois constaté, parfois soupçonné, engendre une crainte diffuse à l’égard des nouveautés, comme on le voit avec les éoliennes ou le passage à la «5 G».

Face aux dommages collatéraux – et parfois centraux – de cette recherche obsessionnelle de puissance, face à ce fait que nos maîtrises sectorielles s’accompagnent d’une perte croissante de la maîtrise globale, la réaction écologique vise à calmer le jeu et à remettre les choses à leur place, celle de la nature – de la planète – étant au centre. L’homme est un prédateur déséquilibré qui a outrepassé toutes les limites, y compris celles de sa propre nature: sa puissance même le déséquilibre et le pervertit. Il est vital de ré-immerger ce soi-disant démiurge dans l’ensemble organique que constitue la planète, de purifier tout ce qu’il a pollué et de refaire les liens de tout genre qu’il a brisés. Il faut l’empêcher de nuire plus longtemps, et le contraindre par tous les moyens, même et surtout légaux, à rester à sa place. L’homme de Descartes, que la science devait rendre «maître et possesseur de la nature», l’écologie veut en faire un serviteur humble et respectueux de cette nature.

Plus d’un écologiste voit dans les premiers chapitres de la Bible le fondement des abus techniciens. Le vingt-huitième verset du premier chapitre de la Genèse, par exemple, Remplissez la terre, et l’assujettissez ; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre, semble confirmer cette accusation. Mais si ce verset place l’homme très haut, le Tout-Puissant est encore infiniment plus haut. Les proportions sont donc conservées, les limites sont fixées et les relations entre le Créateur, l’homme et la création, équilibrées.

Une petite nièce, qui avait marché pour le climat et à qui j’objectais qu’elle et ses semblables en prenaient à leur aise avec la liberté individuelle, me rembarra d’une réponse aussi définitive qu’instantanée: «Liberté… de polluer!…» Je n’ai pas eu la présence d’esprit de lui répondre «…ou de ne pas polluer», réservant ainsi, pour la suite de la discussion, cet élément essentiel de la condition humaine qu’est la liberté de choix.

S’il n’y a plus de liberté, il n’y a plus non plus de personnes aptes à juger ce qui est bien et ce qui est mal et à se déterminer d’après leur jugement. Il y a juste une masse d’individus qui fonctionnent selon des règles exhaustives minutieusement établies par le pouvoir. Est-ce vraiment ce que les grévistes veulent? Sur ce point aussi, l’Eglise a quelque chose à dire, notamment parce que la liberté est un aspect de l’image de Dieu en l’homme.

Pour le chrétien, qui professe la distinction du temporel et du spirituel, la nature n’est pas sacrée. Chacune de ses innombrables parties peut être utilisée, cultivée et transformée pour satisfaire à tel besoin humain. Il n’en reste pas moins que le Créateur est, d’une certaine manière, au cœur de chaque réalité, si petite ou contingente soit-elle. Sa présence conserve la création dans l’être. C’est cette présence qui requiert le respect de l’être humain pour la nature. Le moindre brin d’herbe a une raison d’être, un sens que l’homme est chargé de mettre en valeur, dans une collaboration gratifiante avec le Créateur.

L’Eglise a encore beaucoup à dire sur le fait que, derrière la réaction écologique, se profile une sorte de religion de la Terre et de la Nature, avec une branche antispéciste, aux yeux de laquelle l’homme n’est qu’un animal parmi d’autres, et une autre, animiste, pour laquelle tout est sacré et intouchable, où non seulement les animaux mais aussi les plantes, les rivières et les montagnes ont des droits qu’il faut introduire dans le Code civil et défendre devant les tribunaux. Dans cette perspective, le message biblique, de la Genèse à l’Apocalypse, du sacrifice du Christ à son retour sur terre, tout devient incompréhensible. Savoir comment réorienter cette religiosité païenne et sans transcendance doit être une des préoccupations majeures de l’Eglise.

Cela dit, il est loisible au chrétien de «changer de posture» voire de «paradigme», d’évacuer le plastique de son quotidien, de consommer «local», de se contraindre à la frugalité, de réduire son «empreinte carbone», de recycler ce qui peut l’être, de pratiquer la «mobilité douce», d’utiliser des toilettes sèches et de faire un compost au fond du jardin. Mais c’est en plus.

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