Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Occident express 52

David Laufer
La Nation n° 2144 13 mars 2020

Sa mort avait pris Belgrade par surprise. Il avait beau avoir 85 ans, sa vitalité le rendait immun à une éventuelle disparition. Etant l’un des artistes serbes les plus établis au-delà des frontières, son départ déclencha une véritable émotion nationale à laquelle un hommage solennel devait permettre de donner forme. Un jour avant son inhumation, une cérémonie à l’hôtel de ville de Belgrade fut donc organisée. Nous nous sommes retrouvés dans la pièce principale de ce qui fut une aile du Palais royal, une grosse maison néo-classique des années 1880 ornée de vitraux retraçant le chemin de croix des partisans communistes durant la Seconde guerre mondiale. Quelques rangées de fauteuils mal assurés et effilochés avaient été alignées, un écran faisait défiler des portraits de l’artiste pendant que des employés de l’hôtel de ville nous rangeaient au petit bonheur la chance. A côté du pupitre un ingénieur technique, en t-shirt et sandales, s’affairait sur ses machines. Le Premier ministre est entré avec sa suite, personne n’y a fait attention. On l’a assise au premier rang, potiche de luxe, silencieuse et inutile. Lorsque la famille du défunt a fait son entrée, on nous a priés de nous lever. Après la minute de silence syndicale, nous avons dû ensuite écouter un enchaînement de quatre discours, le dernier seulement empreint d’une gratitude sincère. Et puis nous sommes partis, non sans avoir serré les mains des membres de la famille en ordre totalement dispersé dans le hall central. Pour rendre hommage à un artiste qui a considérablement contribué à faire connaître son pays dans les cercles les plus exigeants de l’art mondial, on a hâtivement rassemblé quelques huiles, on a branché un micro, et puis on est parti. Ni orchestre, ni remise de décoration, aucun drapeau, aucun sens de la gravité de l’occasion. Ma voisine, une star locale de la chanson, a passé ses 45 minutes de présence sur son smartphone, à faire des selfies et à répondre à des commentaires sur Facebook. Une bonne vingtaine de gens n’avaient certainement pas été invités. Depuis le temps je sais les reconnaître, ils font partie des meubles à chaque occasion, certains d’entre eux proches de la clochardisation, à moitié déments, errant dans cette assemblée comme le fantôme d’une solennité défunte. La Serbie rejoint la Suisse sur ce point: l’absence complète de sens du protocole, c’est-à-dire du sens de l’Etat. Même si ce sont pour des raisons tout à fait distinctes dans ces deux cas, le résultat est le même et laisse songeur. Les Suisses comme les Serbes sont puissamment cocardiers, ils professent volontiers un patriotisme vitupérant, surtout sur les questions sportives et d’immigration. Mais lorsqu’il s’agit de célébrer leur appartenance commune ou de célébrer ceux qui l’ont matérialisée, les Suisses comme les Serbes deviennent tout maladroits, presque honteux, comme s’ils avaient malgré tout bien compris qu’en ce qui concerne la puissance et le prestige de l’Etat, on peut circuler.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: