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L’école comme matériel électoral

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1744 29 octobre 2004
Selon la doctrine démocratique, les partis sont des groupements d’opinion qui occupent le pouvoir dans le but de conduire une politique conforme à leur idéologie. Le parti radical suisse - il n’est pas le seul - fait l’inverse: il aimerait reconquérir le pouvoir et cherche à cette fin des opinions susceptibles d’être porteuses électoralement. C’est ainsi que, s’étant hâtivement penché sur la question scolaire, il a décidé que la Confédération avait besoin d’un système unique. Prétexte invoqué pour camoufler le mercantilisme de l’opération: faciliter la mobilité familiale et professionnelle en Suisse. Le parti radical suisse a donc décidé de lancer une initiative pour uniformiser l’âge d’entrée à l’école, les objectifs scolaires, le matériel d’enseignement et les méthodes d’évaluation.

Nos réformateurs scolaires, craignant l’influence des cantons «les plus rétrogrades» sur les expériences vaudoises, se sont aussitôt agités de la plus belle manière. La socialiste Cilette Cretton, éminence grise du Département de la Formation et de la Jeunesse, a tenu à la radio un discours d’un fédéralisme d’une rare orthodoxie contre la future initiative des radicaux. C’est assez cocasse quand on se rappelle que les thuriféraires d’EVM, dont elle fait partie, se gargarisaient de sa romando-compatibilité, préalable à une harmonisation suisse et européenne (1) de l’école!

A l’inverse, certains partisans des notes sont prêts à monter dans cette barcasse pourrie et à passer par Berne pour imposer leur point de vue aux cantons modernistes. C’est un calcul à court terme. Les réformateurs ne sont pas moins actifs ni moins nocifs sur le plan fédéral. C’est à eux par exemple que nous devons la suppression des sections traditionnelles, classique, scientifique et moderne. Et ils ne sont pas plus faciles à contrer que nos réformateurs cantonaux.

L’idée de centraliser l’école laisse entendre qu’on pourrait concevoir une organisation scolaire en dehors de toute référence aux mœurs des populations cantonales. A elle seule, cette idée disqualifie la manœuvre radicale: l’enseignement scolaire est au contraire tributaire des pratiques familiales, sociales et religieuses du lieu. Pour ne comparer que les cantons du Valais et de Genève, ou de Fribourg et de Vaud, on constate des différences importantes et stables dont il serait impensable qu’elles n’aient pas d’influence sur l’école.

La résistance annoncée des cantons est considérée non comme un sursaut vital révélateur d’une réalité politique bafouée, mais comme un paramètre de freinage dont il faudra tenir compte dans la stratégie générale. Il y a dans ce mépris des cantons une attitude profondément anti-suisse.

Trente années de réformes scolaires nous ont appris au moins une chose: l’école ne vaut pas d’abord par son système, mais par sa pratique. Je ne dis pas que tous les systèmes se valent, ni qu’il est impossible de s’inspirer d’un système étranger. Je dis simplement que même les systèmes les meilleurs ne valent qu’au fil d’une longue pratique durant laquelle les enseignants comblent les manques, liment les excès, suppriment les erreurs de conception, approfondissent leurs méthodes et rectifient les manuels. C’est aussi cette pratique stable qui seule peut créer la confiance indispensable aux relations entre les maîtres, les élèves et les parents. Chaque changement, même le plus justifié, est suivi d’un creux qualitatif durant lequel les parties s’adaptent. Et quand les changements sont massifs, ou se succèdent à intervalles rapprochés, c’est un véritable désordre qui s’installe durablement tant dans l’administration scolaire que dans les relations entre les acteurs scolaires. C’est ce que nous promet l’initiative radicale.

Le désordre que provoquerait la centralisation ne frapperait pas seulement l’école. Il amorcerait une longue période de lutte entre les pouvoirs cantonaux et fédéraux, entre les cantons et surtout entre les groupes linguistiques. Si l’on veut créer des problèmes ethniques en Suisse, il n’y a qu’à centraliser l’école et remettre à la Confédération, c’est-à-dire à une majorité germanophone, le pouvoir de décider pour toute la Suisse ce qui est bon pour les élèves, notamment en ce qui concerne l’enseignement des langues.

C’est d’ailleurs une grande naïveté de croire que la centralisation rendra l’école plus efficace. Sur le papier, il est certain qu’une seule école suisse est beaucoup plus simple que vingt-six écoles cantonales. Mais un papier simple ne peut régir «efficacement» une réalité objectivement multiple et rendre semblables des réalités objectivement différentes.

L’affaire PECARO (plan d’étude cadre romand) devrait inciter les radicaux à plus de circonspection. Le manuel de cette grande manœuvre d’alignement des écoles romandes est tellement filandreux et prétentieux que personne n’en veut. Au point que M. Steiert, membre de la garde prétorienne du Département de la Formation et de la Jeunesse, a dû déclarer que PECARO était un document qu’il fallait encore «stabiliser». «Stabiliser»! Miracle de la langue de bois départementale! Entendez que le Département attendra que les passions soient retombées pour revenir discrètement à la charge. Or l’opacité quasi claudélienne du PECARO montre à quoi peut conduire une opération d’«harmonisation » scolaire conçue sans tenir compte des communautés cantonales. Faut-il vraiment étendre la pécarosité à l’entier de la Confédération?

Nos lecteurs connaissent nos préventions à l’égard des partis qui, quels qu’ils soient, finissent toujours par faire prévaloir l’idéologie sur la réalité et leurs intérêts électoraux sur le bien commun. L’initiative radicale que nous combattrons de toutes nos forces ne nous incite guère à changer d’avis.


NOTES:

1) Projet d’exposé des motifs à l’appui d’EVM, p. 5.

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