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Actualités  |  Mardi 12 novembre 2019

Le double exil de quelques migrants lausannois

No apologies – «Pas d’excuses» – est un film d’une heure tourné par un groupe de migrants africains vivant à Lausanne. On a pu le voir au Bellevaux et dans quelques cinémas régionaux. Il a fait se lever d’enthousiasme les spectateurs lors de sa présentation au Festival Cinéma d’Afrique, à la salle Paderewski.

Ce film n’est pas conçu comme un documentaire. Les acteurs et réalisateurs sont partie prenante. On les voit se préparer au tournage. Ils discutent des raisons d’être du film. Dans la «loge», la maquilleuse ajuste une cagoule… pas très anonyme. Ce film est-il une requête adressée aux autorités, à la police lausannoises et aux habitants? l’expression d’une volonté de reconnaissance? une profession de foi africaine? De tout un peu.

C’est une enfilade de courtes scènes. Le fil rouge est tenu par un cuisinier colossal qui, au début du film, ouvre symboliquement la porte du local. Il mitonne, durant toute la projection, d’énormes plats d’une nourriture qu’il distribue à grands coups de louche. Il discute paternellement avec tous et égrène des poèmes qui parlent de solitude, d’animaux migrateurs et de soleil.

Tout se passe dans les deux ou trois pièces de ce local, sans fenêtres et pauvrement meublé. Les acteurs parlent, tantôt entre eux, tantôt face au spectateur. Ils parlent de leur vie en Suisse, ou plutôt de leur survie à Lausanne, des hébergements de fortune, des squats et des sacs de couchage dans les jardins publics, des petits boulots. Ils présentent la vente de drogues dans les rues comme une nécessité occasionnelle. Ils craignent la police et éprouvent le sentiment de courir un risque en apparaissant dans le film. Plusieurs conservent le souvenir cuisant d’une arrestation, qu’ils jugent infondée, avec menottes et nuit au poste. Pour celui qui a participé au film dans le seul but d’évoquer un ami mort lors d’une arrestation, il y a des policiers très corrects, mais quelques-uns sont «des démons».

Le plus éloquent reproche à son pays d’origine de leur avoir appris à s’habiller, à penser et à se comporter comme des Blancs plutôt que selon leurs coutumes ancestrales.

Maîtrisant mal notre langue, qu’ils complètent avec un anglais sommaire, n’ayant reçu, à ce qu’on comprend, aucune formation systématique, ils se retrouvent, pour certains depuis quinze ans, dans les marges d’un pays qui leur reste étranger. Un de leurs amis, retourné au pays, a constaté qu’il y était presque aussi étranger qu’ici. Ils végètent dans l’impasse d’un double exil.

Les discours standard de l’officialité sur le droit sacré d’asile font miroiter aux yeux des migrants une générosité tout abstraite, que le citoyen ordinaire et les autorités locales ne peuvent assumer au quotidien. Cet écart engendre, de part et d’autre, un flot croissant de craintes et de ressentiment.

(Olivier Delacrétaz, 24 heures, 12 novembre 2019)