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Caisse publique

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1996 27 juin 2014

L’initiative «pour une caisse publique d’assurance-maladie» veut confier l’assurance de base à une caisse suisse unique, tout en laissant aux assurances complémentaires leur caractère privé. Elle nous est présentée comme une opération de simplification, de moralisation et d’économie.

Le caractère unique et centralisé du nouvel organe donnerait une vision claire des problèmes de la santé. Il n’y aurait plus de chasse aux «bons risques» ni de dépenses publicitaires puisque nous aurions un monopole. La gestion serait l’affaire conjointe de la Confédération, des cantons, des assurés, des médecins et des hôpitaux.

Notre système de santé souffre de nombreux défauts. Le caractère obligatoire de l’assurance-maladie a engendré une énorme et coûteuse paperasse administrative. L’assuré est poussé à consommer de la médecine pour rentabiliser ses primes.

«Tarmed», l’accord qui lie les caisses et les médecins, contraint ceux-ci à une épicerie indigne de l’art médical. Il surévalue les actes matériels par rapport aux prestations intellectuelles, incitant l’homme de l’art à multiplier les premiers sans véritable nécessité.

Les assureurs ne cessent de renforcer leur contrôle sur les traitements et, remontant des effets aux causes, sur les diagnostics. Ils font pression pour ne plus être obligés de rembourser les honoraires de tous les médecins (ce que le jargon nomme «obligation de contracter»), mais seulement de ceux qu’ils auront désignés comme remboursables. Quant aux paramédicaux, ils se plaignent des difficultés qu’ils rencontrent à faire rembourser leurs interventions.

Enfin, l’augmentation de la durée de la vie, les découvertes continuelles de la médecine, les inventions techniques qui en découlent et notre sensibilité croissante au moindre bobo poussent constamment les coûts de la médecine vers le haut.

Devenant toujours plus coûteuse, la médecine devient toujours plus l’affaire des assureurs et toujours moins celle des médecins. Autrement dit, trois aspects essentiels de la médecine libérale sont en train de disparaître: le secret médical, le libre choix du médecin par le patient et le libre choix du traitement par le médecin.

Toutes ces critiques du système actuel ne justifient pas encore l’initiative. Il faut d’abord se demander si elle simplifie vraiment la situation, si elle rectifie vraiment la dérive en direction de la bureaucratie médicale et si elle réduit vraiment les coûts.

Pour ce qui est de la simplification, rien n’est moins sûr, même sans parler des dix années de désordre qui, selon les partisans eux-mêmes, seront nécessaires pour mettre le système en place (nous y reviendrons dans quinze jours).

Une institution ne peut prétendre à la simplicité et à la cohérence sans que ses membres ne soient liés par une certaine similitude d’intérêts engendrant une attitude et une volonté communes. L’espèce de parlement que l’initiative met à la tête de la caisse, où les différents «acteurs de la santé» s’affronteront en fonction d’intérêts opposés et décideront en se décomptant, n’y contribuera pas. L’étiquette commune camouflera un contenu incohérent. Les médecins et les hôpitaux y perdront ce qui leur reste d’autonomie, laquelle se verra remplacée par un droit de participation minoritaire aux décisions de l’ensemble. Après tout, c’est aussi une forme de simplification.

Pour ce qui est de la fonctionnarisation médicale, Tarmed et sa comptabilité vétilleuse subsisteront, le contrôle des décisions médicales par l’assurance aussi. Les dossiers médicaux circuleront autant qu’avant. Les soucis de gestion continueront de déborder sur la liberté médicale. Et en plus, le patient sera, définitivement et sans échappatoire, livré au bon vouloir de la caisse unique.

En principe, aucun employé des caisses actuelles ne devrait être congédié. Comme il faudra en outre engager toutes sortes de chefs et sous-chefs de projets pour mettre la réforme en place, il semble qu’on se dirige plutôt vers une augmentation de la masse salariale.

La concurrence ne fait certes pas de miracles. Mais elle tient en alerte les directions des caisses, qui sont obligées de mieux contrôler la qualité de leurs services, de couper les branches gourmandes, de veiller à ne pas payer sans discernement les factures des médecins et des hôpitaux. Les coûts sont ainsi, dans une certaine mesure, contenus.

Et c’est un fait que les organismes uniques, privés de l’aiguillon de la concurrence, coûtent plus cher. Ainsi, la caisse d’assurance-accident CNA, unique et obligatoire pour certaines professions, exemple de réussite aux yeux des partisans de l’initiative, dépense pour sa gestion la moitié plus que les caisses privées. Il en ira de même avec le monopole de la caisse unique.

La disparition de la concurrence supprimera, dit-on, les dépenses publicitaires. Connaissant le monde officiel, on peut être certain du contraire. Les publicitaires, graphistes et communicateurs des caisses ne seront pas débauchés. On leur confiera de nouvelles campagnes visant à promouvoir la santé, source simultanée de bonheur personnel et d’économies pour la société. Des annonces, des prospectus, des vidéos et des affiches nous inciteront à manger moins salé, moins gras et plus fruité, à consommer quotidiennement cinq parts (?) de légumes frais et zéro part d’alcool et de tabac, à mastiquer lentement, à marcher vite, mais – attention! – en buvant beaucoup, à siester et à turbo-siester. La justification de ces dépenses n’étant plus le lucre égoïste mais la morale collective, il n’est pas absurde d’imaginer qu’elles croîtront sans opposition.

La caisse unique et publique est un remède pire que le mal. Elle rend la situation encore moins claire, renforce l’emprise administrative sur la médecine et augmente les coûts de la santé.

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