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Concubinage et ordre social

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2044 13 mai 2016

Dans les années soixante, on commença à voir des couples qui vivaient maritalement sans être mariés. Ils s’inscrivaient dans une tendance générale de rejet des institutions, en particulier de la famille, de l’Eglise et de l’armée, et manifestaient ainsi leur liberté d’esprit face à leurs parents et à la société. Non sans cynisme, certains d’entre eux jugeaient utile d’expérimenter la vie à deux avant de s’engager définitivement. D’autres encore, et pas seulement des jeunes, voyaient dans l’union libre et l’imposition séparée une manière d’échapper partiellement à la progressivité de l’impôt. La prospérité générale d’un côté et la pilule anticonceptionnelle de l’autre facilitèrent les choses.

Au fil du temps, le concubinage s’est, si l’on ose dire, institutionnalisé, lors même qu’il reste en marge de l’institution. Son aspect contestataire a largement disparu. On n’entre plus en concubinage pour se distinguer de ses parents, mais pour faire comme eux. Les concubins ne prouvent plus leur originalité, mais leur conformité.

Ce n’est plus forcément un état provisoire. Contrairement à ce qui se passait il y a encore vingt ans, où les concubins se mariaient à l’arrivée du premier enfant, les nouveaux parents ne jugent plus nécessaire d’officialiser leur situation en passant devant l’officier d’état civil et le pasteur.

Le concubinage apparaît aujourd’hui moins comme un anti-mariage que comme un mariage light. Sans prendre d’engagement formel, les concubins entrent implicitement dans un moule, nous dirions presque «traditionnel», qui établit un lien relativement stable de fidélité et d’assistance réciproque. Ce lien, dépourvu de tout engagement religieux public et définitif, privé aussi du renfort de l’institution – parfois déterminant en temps de crise –, est certes plus rudimentaire et fragile que le mariage au sens plein du terme. On peut néanmoins affirmer qu’en une quarantaine d’années, l’esprit du mariage a, au moins partiellement, réinvesti le concubinage. D’ailleurs, la rupture d’un concubinage apparaît aussi lourde de conséquences affectives, morales et sociales, sinon juridiques, qu’un divorce.

Par rapport aux rencontres sans lendemain et au butinage sexuel, le concubinage tel qu’il est répandu aujourd’hui dans toutes les couches de la population représente un élément d’ordre ou, disons, de moindre désordre social. L’Etat peut-il durablement ne pas s’en préoccuper?

Il y a six ans, le conseiller aux Etats Gutzwiller déposait une motion demandant d’assouplir le droit des successions pour tenir compte de l’évolution de la famille. Elle prévoyait notamment la mise sur pied d’égalité, en cette matière, des concubins, des partenaires enregistrés et des conjoints mariés. Le Parlement a refusé cet aspect de la motion et l’a transmise modifiée au Conseil fédéral.

Le projet de celui-ci prévoit principalement une modification des parts réservataires – c’est-à-dire des parts d’héritage qui reviennent de droit au conjoint, aux parents et aux descendants du défunt – et la création d’un «legs d’entretien» au bénéfice du concubin survivant.

Le Conseil fédéral propose de réduire ces réserves, de les supprimer même en ce qui concerne les parents. La réduction de ses obligations familiales donnerait au testateur une plus grande liberté de léguer ce qui lui plaît à qui il lui plaît, et notamment à son concubin.

En ce qui concerne le legs d’entretien, le Conseil fédéral juge que l’absence de règles de protection du concubin survivant peut engendrer des situations choquantes. Certes. On pense à celui des deux concubins qui a abandonné son travail pour éduquer les enfants et se trouve brusquement sans rien. Néanmoins, il ne sera pas facile de déterminer la réalité plus ou moins profonde et vécue du concubinage, quand il a commencé et s’il a duré jusqu’au décès. On en revient toujours là: peut-on attribuer des effets juridiques contraignants à une réalité qui se définit par son absence de statut juridique? La loi que le législatif fédéral est appelé à fabriquer risque fort d’être bâtie sur le sable.

A distance, on constate l’existence de deux mouvements simultanés et de sens inverse. En même temps que le concubinage tend à gagner en reconnaissance officielle et en réalité juridique, le mariage perd les caractéristiques qui le distinguent du non-mariage. On a supprimé le chef de famille, on a placé sur pied d’égalité l’enfant né dans le mariage et celui qu’on qualifiait autrefois d’illégitime, on a mis fin à l’obligation pour la famille de prendre le nom et le lieu d’origine du mari. En d’autres termes, et on le voit bien avec la modification proposée du régime des réserves, le caractère communautaire du mariage perd du terrain au profit des droits individuels des conjoints.

Le mariage va vers le désordre et le concubinage vers l’ordre. Ils se rapprochent. Vont-ils se joindre? Il est possible qu’on se dirige vers une évolution du partenariat enregistré, réservé pour l’heure aux couples de même sexe, et qui, à l’image du «pacs» français, serait désormais ouvert à tous. Cela ne réglera pas le cas des concubins qui ne voudront ni du mariage, ni du pacs, ni même d’un contrat privé de concubinage, échappant ainsi tout à la fois aux contraintes du droit et à ses bienfaits.

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