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Un abominable fouillis

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2065 3 mars 2017

Commentant les premières bilatérales qui allaient être soumises au vote du souverain le 21 mai 2000, le Conseil fédéral affirmait que l’accord sur la libre circulation des personnes (ALCP) nous amènerait environ 8000 travailleurs européens par année. Il en vint dix fois plus, indice d’une perte de maîtrise spectaculaire.

La vaste et ambitieuse initiative fédérale «contre l’immigration de masse» fut lancée pour rétablir cette maîtrise. Elle prévoyait la mise en place de plafonds et de contingents que nous fixerions d’une façon autonome et en fonction de nos intérêts économiques. Elle imposait la préférence nationale à l’embauche. Les travailleurs étrangers devraient disposer d’un contrat de travail et d’une source de revenus suffisante. Ils devraient aussi prouver leur capacité à s’intégrer. Enfin, elle interdisait de signer tout traité contraire à ces dispositions. Les traités déjà signés – en particulier l’ALCP – seraient renégociés dans les trois ans.

Qui trop embrasse… Tout en partageant l’idée de recouvrer la maîtrise du flux migratoire, La Nation ne put soutenir un texte constitutionnel aux effets politiques et économiques incertains, qui confiait à la seule Confédération la compétence d’attribuer les contingents aux entreprises et chargeait un Conseil fédéral plus que sceptique de renégocier les bilatérales. Cela n’empêcha pas le peuple et les cantons d’accepter l’initiative, le 9 février 2014.

Le 16 décembre dernier, les Chambres fédérales votaient la «loi de mise en œuvre» de l’initiative. Enfin, c’est une façon de parler, car une seule chose leur importait: sauver le principe de la libre circulation à n’importe quel prix, fût-ce au détriment de la Constitution. De fait, la loi ne répond à aucune des exigences de l’initiative, si ce n’est par l’introduction d’une préférence nationale ténue en cas de crise sectorielle ou régionale aiguë.

Pour ce qui est du Conseil fédéral, comme nous l’avions prévu, il passa trois ans à ne rien renégocier, et surtout pas l’ALCP, se bornant à affirmer que c’était impossible dans la conjoncture actuelle.

Revenons en arrière. Le succès inattendu de l’initiative avait déclenché toutes sortes de réactions et propositions. En particulier, le 2 décembre de la même année, un comité lançait une initiative intitulée Rasa (Raus aus der Sackgasse!) dont le titre français est: «Sortons de l’impasse! Renonçons à rétablir des contingents d’immigration.» Son texte propose lapidairement d’abroger celui de l’initiative sur l’immigration de masse. Elle sera soumise au vote du peuple et des cantons.

Le Conseil fédéral est opposé à Rasa. Comme l’a déclaré Mme Simonetta Sommaruga à juste titre, il est contraire aux usages de revenir aussi rapidement sur une décision du souverain. Mais surtout, il faut envisager la possibilité que le peuple et les cantons rejettent Rasa, ce qui contraindrait le parlement à concevoir une réelle loi d’application et nos diplomates à affronter la colère des représentants de l’Union européenne.

Aussi le Conseil fédéral prévoit-il d’opposer un contre-projet direct à Rasa. Il l’a soumis à consultation sous la forme de deux options. La première remplace l’alinéa 4 de l’article 121a par le texte suivant: La gestion de l’immigration doit tenir compte des accords internationaux d’une grande portée pour la position de la Suisse en Europe. On renverse la procédure ordinaire: c’est ici la loi d’application qui sert de base à l’article constitutionnel! Et que fera-t-on, si ces accords internationaux en viennent à ôter toute efficacité à notre gestion de l’immigration?

La seconde option conserve le texte de l’initiative, sauf qu’elle supprime le délai de trois ans prévu par les dispositions transitoires. D’un côté, c’est reconnaître que le parlement n’a pas exécuté le mandat constitutionnel, de l’autre, c’est s’autoriser à remettre cette exécution aux calendes grecques, tandis que le flux migratoire non maîtrisé se poursuit.

Si le comité de Rasa juge que l’option choisie, et probablement modifiée par le parlement, répond suffisamment à sa vision des choses, il retirera son initiative. Le Conseil fédéral fera-t-il alors un projet de son contreprojet ou laissera-t-il tout tomber, se contentant de la loi de non-application?

Nous préférons la deuxième option qui, au moins, ne crée pas une espèce de statut d’intouchabilité pour les bilatérales et, tout de même, réserve tant soit peu l’avenir.

On pouvait répondre jusqu’au 1er mars, ce que nous avons fait dans le sens indiqué.

Si l’on prend quelque distance, on se trouve devant un processus de chaotisation qui ne cesse de s’amplifier: une estimation officielle des effets de l’ALCP désinvolte au point d’en être mensongère; une initiative populaire aux effets principaux et collatéraux incertains, centralisatrice et inapplicable avec les autorités fédérales actuelles; une loi d’application qui n’applique rien du tout mais transforme implicitement les accords bilatéraux en obligations supraconstitutionnelles; une initiative «élitaire» qui prend les citoyens pour des débiles et les invite grossièrement à tourner leur veste; un double projet qui soit nous lie les mains face aux bilatérales, soit neutralise à long terme la décision du 9 février.

Ce chaos retrouve toutefois une certaine cohérence à partir du moment où l’on se rend compte que le but principal de notre politique étrangère n’est plus de prolonger notre politique intérieure en faisant valoir les intérêts des cantons et de la Confédération face à l’extérieur, mais, à l’inverse exact, d’imposer les conceptions de l’Union européenne à un souverain suisse peu convaincu.

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