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Le mythe de la mobilité croissante des Suisses

Nicolas de Araujo
La Nation n° 1845 12 septembre 2008
Dans le Temps du lundi 18 août 2008, M. DenisMasmejan justifiait l’ouverture de la nouvelle Maison des cantons par l’un des poncifs les plus éculés de l’idéologie centralisatrice: le mythe des Suisses «de plus en plus mobiles».

Il n’est pratiquement plus un seul domaine de la vie politique, sociale, économique et culturelle où les cantons puissent raisonnablement prétendre agir seuls.

C’est une évidence depuis longtemps dans les secteurs plus ou moins étroitement enserrés par la législation fédérale, la fiscalité et la santé par exemple. La marge de manoeuvre des cantons y a été diminuée d’autant. Mais c’est à peine moins vrai là où ils ont nominalement conservé la plénitude de leurs compétences, en particulier en matière scolaire. Pour s’en tenir à ce dernier exemple, la mobilité de la population s’accroît et avec elle l’irritation face à tout ce qui entrave le passage d’un canton à l’autre – sans parler du gaspillage de l’argent public que représente la production disséminée de programmes et de matériel scolaires.

Les opposants à la nouvelle loi sur l’école fédérale avaient déjà montré que cette argumentation se fonde sur une contre-vérité. Mais puisque M. Masmejan la répète, il nous semble utile de rappeler pourquoi elle demeure sans fondement.

Lors d’une conférence donnée au Séminaire 2006 de la Ligue vaudoise, intitulée «Déménagements: la réalité des chiffres», M. Cédric Cossy a expliqué que la mobilité des Suisses concerne surtout les pendulaires (c’est-à-dire le plus souvent à l’intérieur d’un même canton), et non les déplacements intercantonaux.

L’examen des données statistiques concernant la mobilité professionnelle illustre ce phénomène. La dernière enquête suisse sur la population active montre que, alors qu’elle croissait à la fin des années 1990, la mobilité professionnelle est désormais en phase descendante (1).

Les données concernant les flux migratoires livrent une image similaire. Selon les conclusions de la plus récente étude statistique publié à ce sujet par l’OFS (2) (août 2005)… «La migration intérieure en Suisse est aujourd’hui avant tout un phénomène local. Depuis 1970, la proportion de la migration intercantonale a diminué de 30%; les mouvements migratoires vers une autre région linguistique restent une rareté. Rapportée à la distance séparant l’ancien et le nouveau domicile, la grosse partie des mouvements migratoires ont lieu à l’intérieur d’un rayon correspondant à 60 minutes de trajet.» (3)

De plus, les indices migratoires disponibles à l’OFS (4) prouvent que la migration intercantonale diminue en valeur absolue. De 1981 à 2004, les transferts de population entre cantons ont passé – avec des hauts et des bas – de 134000 à 112000 personnes. Prévoit-on une reprise? Pas du tout! L’analyse prospective menée par les démographes de l’OFS (5) a prédit la poursuite de cette décroissance: la mobilité intercantonale devrait continuer à décroître pour concerner 95000 personnes en 2010, puis 90000 personnes aux alentours de 2020. La mobilité accrue de la population ou des familles est donc, tout comme la croissance de la mobilité professionnelle, un mythe.

A voir l’omniprésence de ce préjugé sous la plume des journalistes et dans la bouche des politiciens, on mesure à quel point l’officialité est aveuglée par l’idéologie.


NOTES:

1) L’enquête suisse sur la population active (ESPA) menée par l’Office fédéral de la statistique fait annuellement l’objet d’une publication de plusieurs dizaines de pages.

2) Sara Carnazzi Weber, Sylvie Golay, Interne Migration in der Schweiz, Office fédéral de la statistique, Neuchâtel, 2005.

3) «Interne Migration ist heute vor allem ein kleinraümiges Phänomen. Seit 1970 hat sich der Anteil der interkantonalen Migration um 30% verringert, Migrationsbewegungen über die Sprachgrenzen hinweg bleiben eine Seltenheit. Bezogen auf die Distanz zwischen altem und neuem Wohnsitz findet ein grosser Teil der Migrationsbewegungen innerhalb einer Fahrzeit von 60 Minuten statt.»

4) Données de l’OFS: Indicateurs migratoires en Suisse, de 1981 à 2060 (P14_F).

5) Somme des «arrivées intercantonales» recensées par canton, tirées de L’évolution démographique des cantons de 2002 à 2040, Office fédéral de la statistique, Neuchâtel, 2004.

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